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Xavier Prévost redessine les contours de l’humanisme juridique

Mise à jour le :

Lauréat d’une bourse Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche, le professeur Xavier Prévost plonge dans l’humanisme juridique de la Renaissance pour en éclairer les enjeux contemporains. Une recherche entre érudition, interdisciplinarité et actualité.

Photo : Xavier Prévost, professeur en histoire du droit à l'Institut de recherche Montesquieu © Gautier Dufau
Xavier Prévost, professeur en histoire du droit à l'Institut de recherche Montesquieu © Gautier Dufau

« Je travaille sur une tête d’épingle ! » énonce malicieusement le juriste Xavier Prévost en évoquant le projet ISTHisFrench* qui vient d’être lauréat d’une bourse Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche (ERC), dotée de plus de 1,8 millions d’euros. Une tête d’épingle, certes, dans le foisonnement thématique de la recherche mais qui, débutée il y a plus de cinq siècles, s’étire sous certains aspects jusqu’à aujourd’hui. « Je travaille sur la déclinaison juridique de l’humanisme, grand courant de pensée du XVIe siècle qui a eu des répercussions immenses, notamment sur la place de l’homme dans le monde ». Un sujet moins confidentiel qu’il n’y parait donc !
Reprenons le fil de l’histoire. Le parcours de Xavier Prévost a commencé à Beauvais, en Picardie, loin des milieux juridiques et de la recherche universitaire. C’est une visite chez un notaire avec sa grand-mère qui lui fait découvrir, pour la première fois, l’univers juridique. Un hasard qui dessine une carrière. En classe préparatoire droit-économie au lycée Turgot et à l’université Paris 1, il découvre l’histoire du droit dès la première année, puis l’École normale supérieure de Cachan lui fait entrevoir la recherche. Il y consacre un master 2 après avoir passé l’agrégation d’économie et gestion pour pouvoir enseigner au lycée. Au cas où… déjà conscient du caractère confidentiel de cette discipline.

De l’Antiquité à la Renaissance

L’étudiant d’alors ne sait que choisir entre le droit romain de l’Antiquité et la pensée juridique moderne. Un professeur de l’ENS lui conseille, pour allier les deux, de consacrer sa thèse à Jacques Cujas (1522-1590). « C’était un juriste, professeur de droit romain au XVIe siècle qui a eu un rôle important dans l’évolution de la compréhension du droit. Il a renouvelé et transformé la lecture des textes grâce aux méthodes de l’humanisme, présente-t-il. Cujas a marqué son temps par son réseau d’élèves, les controverses où il s’est illustré, faisant de lui une référence durable dans l’histoire du droit. » Il n’était pas le seul mais il est parmi les plus influents et connus de cette période, précise Xavier Prévost. Ardu à appréhender aussi et peu s’y sont risqués. « Je n’étais pas très conscient de la difficulté » concède celui qui s’est littéralement plongé durant cinq ans dans une œuvre en latin répartie en 10 volumes et 13 000 colonnes in-folio.

L’enseignant-chercheur va étudier les productions des juristes humanistes, éditées entre 1450 et 1650 © Gautier Dufau
L’enseignant-chercheur va étudier les productions des juristes humanistes, éditées entre 1450 et 1650 © Gautier Dufau

« C’était juridiquement très technique et cela faisait appel à l’humanisme dans une approche encyclopédique avec des références en histoire, philosophie, littérature… Cette œuvre adopte une vision large de la connaissance et mobilise des références antiques et médiévales. » Un sujet fascinant pour ce passionné d’interdisciplinarité et une forme d’inconscience qui a façonné sa carrière. Sa thèse, en comblant un vide, lui a ouvert de nombreuses portes (création d’expositions, collaborations internationales…) jusqu’à aboutir à l’ERC aujourd’hui. Il est d'ailleurs le premier historien du droit lauréat d’un ERC en France et le premier à obtenir une telle distinction en sciences humaines et sociales (hors archéologie) à l’université de Bordeaux. 

Le mos gallicus : un récit à réécrire

Juste avant sa soutenance, Xavier Prévost est entré à l’École nationale des chartes, grande école spécialisée dans la formation aux métiers liés aux archives, à la recherche historique et à la conservation du patrimoine. « J’étais avec des élèves qui avaient 10 ans de moins que moi mais je l’ai pris comme un postdoctorat. Je voulais me former, acquérir une légitimité en tant qu’historien. » Il en sortira avec le titre d’archiviste paléographe alors qu’il vient d’intégrer l’université de Bordeaux au poste de professeur d’histoire du droit à l’Institut de recherche Montesquieu (IRM). « Ce poste a transformé la façon dont je faisais de la recherche et a élargi mes perspectives. »

Dans son projet ERC ISTHisFrench, acronyme qui signifie aussi « est-ce français », l’enseignant-chercheur souhaite étudier et rétablir un point d’histoire. Au moment de l’essor du courant humaniste, son application dans le domaine du droit prend forme : l’humanisme juridique. À cette époque, ce mouvement est transnational, c’est-à-dire que Cujas et ses contemporains échangent, en particulier en latin, du Portugal à la Suède, au-delà des frontières étatiques. Mais au fil du temps, l’humanisme juridique a été réduit, dans la littérature scientifique, au mos gallicus jura docendi, c’est-à-dire à une méthode française d’enseignement du droit en opposition à une méthode italienne caractéristique du Moyen Âge. Pour le chercheur, cette lecture biaisée serait liée à l’émergence de cadres juridiques nationaux. Un droit commun quasi-européen s’est progressivement effacé au profit de droits nationaux : français, anglais…

  • L’inspirant succès européen de deux chercheurs bordelais

Pour étayer son hypothèse, l’enseignant-chercheur va étudier, à travers toute l’Europe, les productions des juristes humanistes, éditées entre 1450 et 1650, appuyé par une équipe constituée d’un informaticiendeux postdoctorants et 3 doctorants.
L’humanisme a révolutionné la place de l’homme dans le monde, en promouvant l’idée que l’individu se construit par le savoir, rappelle-t-il. « Il ne faut pas négliger la part du droit dans ces phénomènes sociaux et comprendre que c’est un outil puissant à travers lequel les hommes façonnent le monde ». Ainsi pour lui, ce projet de recherche est loin de se limiter à de l’érudition. « Il y a un enjeu pour le monde contemporain, à l’ère du transhumanisme par exemple. Dans ces courants de pensée, le droit a un rôle à jouer et les juristes doivent y prendre part. » C’est le cas de Xavier Prévost qui n’hésite pas à dépasser les frontières de sa « tête d’épingle ».

*The so-called mos gallicus: In Search of a Transnational History of the « French method of teaching law »

  • "Je suis un universitaire heureux"

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  • L'interdisciplinarité, un enjeu stratégique pour l'université de Bordeaux

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Contacts

  • Xavier Prévost

    Professeur en histoire droit
    Institut de recherche Montesquieu

    xavier.prevost%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr