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L'interdisciplinarité : un enjeu stratégique pour l’université de Bordeaux

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Xavier Prévost s'est vu confier, en mars 2024, la mission de coordonner la stratégie interdisciplinaire de l’université de Bordeaux. Dans cet entretien, il revient sur les défis de l’interdisciplinarité, la mise en place d’un observatoire dédié et l’importance de dépasser les frontières disciplinaires pour répondre à des grands enjeux de recherche et de formation.

Photo : Xavier Prévost © Gautier Dufau
Xavier Prévost © Gautier Dufau

Comment définissez-vous l'interdisciplinarité dans le contexte de l’université de Bordeaux ?

Xavier Prévost : Il n’existe pas de définition unique de l'interdisciplinarité, le but de ma mission est d’ailleurs de la caractériser au sein de l’établissement. La notion peut différer aussi selon qu'il s'agisse de formation ou de recherche. À la base, il s'agit de l’étude d’un objet en mobilisant des méthodes qui dépassent le cadre d’une discipline, qui emprunte des méthodologies à un autre champ disciplinaire. Plus on avance dans cette démarche, plus on peut aboutir à la création d’une nouvelle discipline. Un exemple marquant est celui des neurosciences, autrefois interdisciplinaires, que d’aucuns considèrent désormais comme une discipline à part entière.
Il y a une différence entre pluridisciplinarité, interdisciplinarité et transdisciplinarité, même si ces termes peuvent être parfois confondus. La pluridisciplinarité consiste à aborder un sujet avec plusieurs disciplines, chacune de leur côté. L’interdisciplinarité cherche à faire interagir ces disciplines pour créer des ponts entre elles, elles se croisent et se combinent pour aller plus loin. La transdisciplinarité, quant à elle, va encore plus loin en ajoutant un volet orienté vers la société. Cela dépasse le cadre académique.


L’interdisciplinarité est-elle ancrée dans l’histoire de l’université de Bordeaux ? 

XP : Absolument et c’est une force. L'université de Bordeaux est le fruit de la fusion de trois universités très marquées par leurs disciplines. Depuis dix ans, il y a eu une vraie marche en avant avec un rapprochement des différentes communautés. Cependant, les outils de coordination à l’échelle intermédiaire peuvent être améliorés, notamment pour faciliter les interactions.

Comment définissez-vous votre mission depuis que vous avez été nommé en mars 2024 ?

XP : Je ne porte pas la recherche ou les formations interdisciplinaires, ce sont les départements, unités, collèges et instituts… qui le font. Je suis en charge de la coordination de la stratégie interdisciplinaire. Il manquait une vision globale sur ce sujet et un outil de coordination opérationnel sur lesquels je travaille.
La présidence de l’université avait initialement identifié un besoin autour de cette question. Un groupe d’une quinzaine de jeunes enseignants-chercheurs et chercheurs en début et milieu de carrière, dont je faisais initialement partie, avait été constitué début 2023 pour accompagner ce travail de réflexion. Aujourd’hui, ce groupe, animé par Aurélie Bedel (professeure à l'université et praticienne hospitalière en biochimie et biologie moléculaire), accompagne toujours la gouvernance. Il se réunit 3 ou 4 fois par an et fait remonter des besoins du terrain.

  • Xavier Prévost, chargé de mission coordination de la stratégie interdisciplinaire

    Xavier Prévost, professeur d’histoire du droit, a été nommé chargé de mission coordination de la stratégie interdisciplinaire de l’université de Bordeaux en mars 2024 par le président Dean Lewis.

Quels sont les défis actuels pour renforcer l’interdisciplinarité au sein de l'université ?

XP : Le principal défi est de mettre en place un véritable écosystème pour soutenir les enseignants-chercheurs et chercheurs qui souhaitent s’engager dans des projets interdisciplinaires, car leur environnement est d’abord conçu pour faire du disciplinaire. Cependant, l’objectif n’est pas que tout le monde en fasse. Il faut de la recherche et de la formation disciplinaires fortes au préalable. Mais l’interdisciplinarité est de plus en plus présente et requise dans certains financements. Pour l’Institut universitaire de France (IUF), c’est un critère fondamental et c’est le cas aussi au niveau européen.
 

Quels sont les chantiers en cours ?

XP : Nous travaillons actuellement à la création d’un observatoire de l’interdisciplinarité, qui devrait être lancé en 2025. Il s’agit d’une des actions prévues par le COMP1. Il permettra non seulement de mieux comprendre ce qui se fait en interne, mais aussi de comparer nos pratiques avec celles des autres universités, afin de les améliorer, de sentir les tendances et de s’en différencier ou d’être complémentaire. Il est originellement orienté recherche dans la dynamique FORESITE2 mais ce sont des travaux préparatoires, il faut dès à présent réfléchir au côté formation et plus largement encore.
Un autre enjeu est de faciliter les échanges entre scientifiques qui, souvent, ne savent pas à qui s’adresser pour collaborer sur des projets interdisciplinaires. La question de la rencontre est au cœur de l’interdisciplinarité pour se lancer dans un projet commun. Nous souhaitons mettre en place un outil pour faciliter cette rencontre.

Quels sont les outils déjà mis à disposition pour encourager ces collaborations ?


XP : Un audit a été mené côté recherche en avril, mai et juin dernier, au cours duquel j’ai pu rencontrer les directions des 11 départements de recherche, accompagné par Lise Monneraud dont le poste est consacré à l’interdisciplinarité au sein de la Direction de la recherche et de la valorisation.
Ces rencontres nous ont permis de recueillir des retours d’expérience précieux, pour compléter les dispositifs existants, tels le fonds d’animation inter-départements et l’appel à projets de Recherche interdisciplinaire et exploratoire (RIE). Ces échanges ont révélé un manque de financements d’amorçage. Souvent, il suffit de quelques milliers d’euros pour permettre à un chercheur de participer à un séminaire, d’inviter un scientifique étranger, de recruter un stagiaire… mais il était parfois difficile de trouver ces fonds. C’est le but des dispositifs que nous venons de lancer. Par exemple, un juriste travaillant sur la justice prédictive pourra amorcer sans difficulté une collaboration avec un chercheur en informatique spécialiste des algorithmes en allant à sa rencontre au sein même de son laboratoire.
Ces financements, bien que peu compétitifs, sont essentiels pour encourager les premières étapes d’un projet interdisciplinaire. Notre objectif est d’offrir aux chercheurs la souplesse et le soutien dont ils ont besoin pour lancer leurs initiatives. Ouverts depuis quelques semaines, ces dispositifs fonctionnent, de manière expérimentale, au fil de l’eau, avec des délais de traitement rapides. Dans ce cadre, indépendamment de la structuration administrative, un projet est considéré comme interdisciplinaire s’il couvre au moins deux panels ERC3.
Dans les prochains mois, un travail similaire de cartographie sera effectué du côté des formations. Cela permettra de mieux cerner les besoins et de rendre visibles les initiatives interdisciplinaires.

  • Dispositifs en faveur de l'interdisciplinarité

    Retrouvez les trois niveaux d’accompagnement proposés à la communauté universitaire ainsi que toutes les informations sur l'interdisciplinarité.

L’interdisciplinarité peut parfois être perçue comme un frein. Comment surmonter cette perception ? 

XP : Il est vrai que certains chercheurs peuvent se sentir isolés ou incompris lorsqu’ils sortent de leur domaine de spécialité. Pour ma part, c’est tout l’inverse. Mon parcours personnel, marqué par des études en droit, économie, gestion et histoire, m’a montré à quel point l’interdisciplinarité peut être enrichissante. Elle ouvre des perspectives intellectuelles et professionnelles. Je l’ai vécue comme du positif à toutes les étapes de ma carrière. L’une de nos missions est donc d’accompagner les enseignants-chercheurs et chercheurs qui se sentent un peu isolés dans leur pratique ou qui cherchent à s’ouvrir à l’interdisciplinarité, en leur montrant qu’ils ne sont pas seuls et que cette prise de risque peut s’avérer bénéfique. Notre université réunit un immense potentiel disciplinaire et donc interdisciplinaire. Mettre en commun ces ressources dans le cadre de cette mission est véritablement passionnant.

1COMP : Contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel
2FORESITE : Faciliter et opérer la recherche l’échelle du site
3Il existe actuellement 27 panels dans le cadre des subventions du Conseil européen de la recherche (ERC) répartis en trois domaines principaux : sciences physiques et ingénierie (10 panels), sciences de la vie (9 panels) et sciences humaines et sociales (8 panels)

 

La recherche interdisciplinaire en pratique(s)

Durant la semaine de l'innovation, un événement est consacré à l'interdisciplinarité pour les chercheuses et chercheurs qui souhaitent se lancer dans un projet interdisciplinaire ou approfondir leurs connaissances de l'interdisciplinarité le mardi 3 décembre après-midi à l'Agora du Haut-Carré

Lien d'inscription

Contact

  • Lise Monneraud

    Direction de la recherche et de la valorisation

    lise.monneraud%40u-bordeaux.fr