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«La vocation de l’art, c’est de déstabiliser en proposant des repères nouveaux»

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Johann Le Guillerm et Bordeaux, c’est une longue histoire, qui date du célèbre festival Sigma, consacré jusque dans les années 90 aux formes artistiques avant-gardistes. Mais son interaction avec l’université de Bordeaux est une première. L’invité d’honneur du FAB – le Festival international des Arts de Bordeaux – y présente un travail qui s’apparente à celui des chercheurs scientifiques mais le prend aussi totalement à contre-pied. Un univers qu’il dévoile notamment dans sa conférence-spectacle Le Pas Grand-chose.

Photo : Johann Le Guillerm cultive la « science de l'idiot » - celui qui « ne sait pas mais qui tente le savoir sans passer par la connaissance établie » © Philippe Cibille
Johann Le Guillerm cultive la « science de l'idiot » - celui qui « ne sait pas mais qui tente le savoir sans passer par la connaissance établie » © Philippe Cibille

Johann Le Guillerm, vous êtes un artiste issu du cirque mais vous avez élargi votre pratique, ces trente dernières années, à une multitude de disciplines et l’on vous qualifie volontiers d’« artiste chercheur ». Sur quoi porte cette « recherche » ?

Cela remonte à un voyage autour du monde que j’ai entrepris à l’époque avec l’intention de déstabiliser mes repères. Mon approche a consisté à confronter des pratiques majoritaires de l’Homme – la verticalité et la manipulation d’objets - aux populations dites « inadaptées » – j’entends par là les personnes handicapées, victimes d’expériences traumatisantes ou issues de populations tribales. La verticalité est liée chez moi à mon passé de fildefériste, et la manipulation d’objets à ma pratique du jonglage. J’ai ainsi mené différentes expérimentations et constaté que des personnes handicapées des membres inférieurs faisaient preuve d’un équilibre quasi-instantané parce qu’elles sont confrontées à une instabilité permanente, habituées à produire un sur-effort et à développer une sur-connaissance de l’équilibre. Il m’est donc apparu flagrant que le handicap générait des capacités compensatoires, comme – autre exemple - une mémoire impressionnante chez les personnes non-voyantes, qui leur permet d’enregistrer le moindre déplacement, de savoir où se trouvent les choses qui les entourent… Dans le cas des populations aborigènes, qui évoluent en permanence sur des terrains non nivelés, j’ai observé également ce sens naturel de l’équilibre.

Et que s’est-il passé au retour de ce voyage, quelle direction avez-vous prise ?

Au retour, j’ai souhaité faire le point sur mes croyances et mes connaissances à partir de ma propre vision, et sans passer par la connaissance établie - celle des bibliothèques et des spécialistes. Ma première intention était de faire une sorte d’inventaire du monde, le mettre à plat, en classant toutes choses selon mes propres catégories - non pas seulement animales ou végétales, mais aussi selon leur taille et leur forme… Cela m’a finalement conduit à « multiplier le monde » quand je cherchais à le simplifier. Ce trop-plein de choses m’a donc poussé dans le sens inverse, à essayer de comprendre de quoi était fait le « pas grand-chose », une sorte de minimal que je retrouverais ensuite dans toute chose plus complexe. Je me suis donc posé la question de ce qu’était « quelque chose ». Prenant le point comme figure minimale d’observation, je me suis aperçu que ce que je voyais me cachait toujours quelque chose que je ne voyais pas. Ce qui a été ensuite le point de départ de mon cheminement, m'invitant à changer mes modes de perception, notamment en tournant autour des choses ou en tournant les choses elles-mêmes, ou encore en m’introduisant à l’intérieur des choses avec ce que j’appelle « le regard explosif du ressenti », qui m’amène à devenir la chose. À partir de ces modes d’observation, j’ai développé une connaissance, qui est devenue une culture – une culture que j’ai éprouvée, à l’inverse d’une culture qu’on a tenté de me prouver - et qui habite aujourd’hui l’ensemble de mes travaux.

C’est ce que vous évoquez dans votre conférence-spectacle Le Pas Grand Chose ?

Oui, entre autres. C’est une conférence que certains qualifient de pataphysique, où j’explore la matière et le monde comme le font les scientifiques, mais avec des bagages différents. Je les appelle des « scientifils », des fils (enfants) de la science, tandis que je développe, quant à moi, une « science de l’idiot ». Celui qui ne sait pas mais qui tente le savoir sans passer par la connaissance établie. Dans cette conférence-spectacle, j’arrive sur scène avec une sorte de charrette, composée de tiroirs, dont je me sers comme d’une paillasse. Elle est équipée de caméras dirigées sur le plan de travail où j’installe des objets qui m’aident à faire des démonstrations pour expliquer les différents chantiers composant mon « observatoire du minimal ». Cela provoque probablement dans le public une forme de déstabilisation, parce que je montre des choses jamais vues, jamais entendues - de l’inconnu. C’est mon métier. Je crois que la vocation de l’art, c’est de déstabiliser en proposant des repères nouveaux, à l’encontre des repères installés. Cette déstabilisation rappelle au monde qu’on ne peut pas s’installer sur Terre, que l’équilibre est un mouvement, bien que tout le monde cherche un équilibre pour se reposer. Mais le repos humain est dans la mort, pas dans la vie. C’est une illusion de chercher à se fixer ou à fixer une pensée. La vie, la pensée sont des mouvements, tout bouge tout le temps.

  • Le FAB s’invite à l'université

    Johann Le Guillerm dévoile plusieurs facettes de son univers foisonnant sur les campus de l'université de Bordeaux.

Le Pas Grand Chose

Mercredi 2, jeudi 3 et vendredi 4 octobre à 20h, auditorium de Station Marne, campus de la Victoire.

Mercredi 2 octobre, conférence précédée à 18h d’un atelier de médiation avec les étudiants (sur inscription auprès de culture@u-bordeaux.fr).

Billetterie du FAB