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Campus verts, labos ouverts

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Au fil des ans, l'université de Bordeaux transforme ses campus en véritables laboratoires de biodiversité, mêlant recherches scientifiques et actions concrètes de préservation. Des projets de renaturation, de gestion durable des espaces verts et de sensibilisation à la biodiversité voient le jour régulièrement, plaidant pour une meilleure connaissance et une cohabitation harmonieuse de tous les êtres vivants.

Photo : À Floirac, sur le site de l'Observatoire, comme à Talence, Pessac, Gradignan, Agen, Périgueux... l'université de Bordeaux entretient et laisse vivre 140 hectares d'espaces naturels © université de Bordeaux
À Floirac, sur le site de l'Observatoire, comme à Talence, Pessac, Gradignan, Agen, Périgueux... l'université de Bordeaux entretient et laisse vivre 140 hectares d'espaces naturels © université de Bordeaux

Elle n’aime pas trop simplifier les choses, mais si on insiste pour qu’elle explique, en quelques mots, l’importance de la biodiversité, Marie-Lise Benot résume : « La biodiversité, ce n’est pas simplement un ensemble d’espèces, c’est un système complexe d’interactions entre organismes vivants, dont nous, humains, faisons partie et dont nous dépendons. S’il n’y avait pas d’autres vivants sur Terre, celle-ci nous serait tout simplement invivable. » Cette écologue au « biais végétal », maîtresse de conférence à l’université de Bordeaux et chercheuse au sein du laboratoire Biodiversité, gènes et communautés (Biogeco), emmène régulièrement ses étudiants sur le terrain pour faire des relevés de végétation, souvent pas plus loin que les campus de l’université. Tout en développant la capacité de ces futurs professionnels à répondre à des commandes et à mener un projet, la démarche permet à ces chercheurs en herbe et futurs chargés de mission d’identifier, sur le domaine universitaire, les enjeux de biodiversité, de les hiérarchiser, de révéler des lacunes de connaissance, d’imaginer des préconisations... « J’aurais adoré suivre cette formation quand j’avais leur âge ! », remarque Marie-Lise en riant.

Celui qui se réjouit de toutes ces informations collectées par les étudiants en biologie, c’est Jean Dubourg, chargé de conseil et d'expertise architecture, paysage, patrimoine et biodiversité à l’université de Bordeaux. Depuis bientôt vingt ans qu’il y travaille, et comme le laisse entendre la longue énumération de ses fonctions, Jean la connaît comme sa poche. Mais pour l’inventaire qu’il mène inlassablement depuis son arrivée, chaque pièce du puzzle est précieuse. Cet architecte de formation a été recruté en 2005 comme directeur du patrimoine de Bordeaux 1 : « à l’époque, la préservation de la nature et de la biodiversité sur les campus n’était pas encore un sujet. » Très vite, avec l’aide d’autres collègues, il monte un collectif - 3B - pour faire des 90 hectares d’espaces verts qui sillonnent le campus Talence-Pessac-Gradignan un lieu d'étude et de préservation de la biodiversité.

Jean Dubourg dans son bureau sur le campus Peixotto à Talence © université de Bordeaux
Jean Dubourg dans son bureau sur le campus Peixotto à Talence © université de Bordeaux

Un parcours de découverte

« On a d’abord mené des réflexions, des actions, des petits projets avant de lancer plus largement des inventaires des arbres, des herbacées, des champignons, des mollusques, des insectes et des oiseaux. Chaque année, deux, trois, quatre étudiants nous accompagnaient, en général issus du Master biodiversité et environnement (aujourd’hui Master biodiversité, écologie, évolution) mais aussi de Bordeaux Sciences Agro et d’ailleurs », se souvient Jean. « Le projet le plus visible alors, le plus structurant, c’est la mise en place dès 2010 d’un parcours de découverte de la biodiversité sur le campus, jalonné de panneaux qui évoquent les zones refuges, la fauche tardive, les orchidées, les zones humides… Un parcours qui a été rénové et étendu l’an dernier. »

Les ruches du Haut-Carré © université de Bordeaux
Les ruches du Haut-Carré © université de Bordeaux

L’abandon des produits phytosanitaires dans la gestion des espaces verts date de la même période, au début des années 2010. Puis s’est posée « la question des abeilles », et plus largement des insectes pollinisateurs, de la cohabitation entre les domestiques et les sauvages. « On a installé deux ruchers mais finalement supprimé celui qui se trouvait à Talence, sur le domaine du Haut-Carré, quand on a décidé de gérer le bois de ce domaine comme un îlot de sénescence, c’est-à-dire un espace où la nature fait ce qu’elle veut, avec une intervention minimale de l’homme – uniquement pour assurer la sécurité des riverains. »

Quinze ans plus tard, Jean est connu comme le loup blanc sur les campus, identifiable à son chapeau de feutre en hiver et son béret béarnais en été. Entre-temps a poussé sur le site de Floirac une forêt expérimentale (qui a épaté jusqu’au Prince Charles), des moutons se sont installés en pâturage sur des parcelles de l’université, la mauve et la chicorée sauvage ont refait leur apparition, les projets de recherche se sont multipliés et une feuille de route a été adoptée pour formaliser toutes les initiatives de la communauté universitaire en faveur de la biodiversité. Puissants accélérateurs, la création du programme ACT et son pilotage par le nouvel Institut des transitions traduisent l’engagement de l’université en la matière.

La forêt expérimentale comme étendard

Thomas Caignard a rejoint il y a quelques mois la jeune équipe de l’Institut pour y coordonner le Living Lab climat et biodiversité. Son expertise est enracinée dans la forêt expérimentale où il a passé un post-doctorat à étudier l’adaptation des forêts au changement climatique, et dans laquelle il est toujours investi à mi-temps en qualité de chef de projet aux côtés du porteur scientifique Sylvain Delzon. « Cette forêt est un projet de recherche passionnant autour duquel gravitent une multitude d’actions de sensibilisation du grand public, des visites, des résidences artistiques, des chroniques sous forme de podcast… » Un véritable laboratoire scientifique à ciel ouvert où a récemment été installée une structure d’exclusion de pluie de 200 m2 au-dessus d’une plantation d’arbres pour étudier leur réaction face à une réduction de 50 à 60% des précipitations. Prochain chantier : un canopy walk qui permettra aux scientifiques comme au grand public de déambuler entre les arbres à une dizaine de mètres de haut.

Retenu loin de sa forêt, Thomas Caignard a désormais élargi son champ d’action pour englober tous les projets du Living Lab qu’il chapeaute, un dispositif ayant la particularité de rassembler et de faire interagir enseignants, étudiants, personnels administratifs et divers partenaires (académiques, institutionnels, associatifs, professionnels) autour d’objectifs communs, ici des enjeux de « gestion et de préservation des espaces naturels, et leur appropriation par les usagers ». En ce mois de décembre 2024, à la faveur de la semaine de l’Arbre en fête organisée par Bordeaux Métropole, le Living Lab s’est penché sur le campus Carreire à Bordeaux où il a « planté le débat de la renaturation » en organisant des ateliers avec les étudiants, des opérations de débitumage et la plantation d’une soixantaine d’arbres et d’arbustes.

« Les espèces ont été sélectionnées par la chercheuse Annabelle Porté du laboratoire Biogeco pour être résistantes aux fortes températures et aux sécheresses, et mellifères pour accueillir des insectes pollinisateurs. Certaines sont d’origine méditerranéenne, comme le caroubier, l’amandier ou le grenadier ; on anticipe les conditions futures de leur développement », détaille Thomas. Marie-Lise Benot regrette de n’avoir pas pu assister à cette opération de renaturation, le 5 décembre, accaparée par un jury de thèse. Elle n’a pas encore eu l’occasion d’emmener ses étudiants sur le campus « santé » de l’université, situé en-dehors du corridor écologique de Talence-Pessac-Gradignan qui lui est plus familier. 

Une stratégie d’établissement nourrie par la recherche

Admirative des « efforts remarquables » produits par Jean Dubourg et son équipe pour établir des zonages précis des campus de l’université, Marie-Lise explique qu’elle se greffe sur ce travail pour le prolonger avec ses collègues et ses étudiants afin d’aider à identifier des pistes pour concilier les usages et la préservation de la biodiversité. Cela pourrait aller jusqu’à définir de potentielles « zones de quiétude où la biodiversité serait peu ou pas du tout dérangée », poches de nature préservées des flux humains et gérées de façon raisonnée, par exemple dans des périodes où il n’y pas d’enjeu de nidification et de reproduction des espèces. « Il existe encore des possibilités de préservation sur ces campus, avant même de parler de restauration », analyse Marie-Lise, citant par exemple la zone humide qui jouxte l’Institut d’optique d’Aquitaine, laissée en libre évolution et parcourue de « lignes de désirs », ces chemins qu’improvisent les usagers en se déplaçant.

Autour de la biodiversité se nouent des approches interdisciplinaires rassemblant des urbanistes, des géographes, des philosophes… Ensemble, ces chercheurs et chercheuses analysent les « services écosystémiques » rendus à l’être humain par la Nature, s’interrogent sur la vision utilitariste que sous-tend ce concept, imaginent des scénarios de préservation qui prennent en considération les convergences et les conflits d’usage dans les espaces naturels. Leurs ambitions pour les campus de l’université de Bordeaux, qu’ils soient situés dans la métropole comme sur les sites d’Agen ou de Périgueux, nourrissent la vision de l’établissement, et l’aiguillonnent.

« Grâce à la recherche, on arrive à caractériser les écosystèmes, à comprendre leur situation, leurs fragilités, depuis l’étude de leur sol jusqu’à leur hydrologie », se félicite Jean Dubourg, dont l’objectif est d’identifier les zones à enjeux et de faire évoluer les moyens de gestion de l’université. Il raconte les réunions au sein du Pôle patrimoine et environnement de l’université, entouré de tous les directeurs et directrices : « On prend le plan du campus sur lequel on pose le calque des enjeux, celui du schéma pluriannuel de stratégie immobilière de l’université, ce que prévoit le plan local d’urbanisme en termes de préservation de la biodiversité (espaces boisés classés, naturels, agricoles…), et on réfléchit aux parcelles qu’on va préserver, voire renaturer, et mettre à disposition des communautés pour mener des projets d’enseignement et de recherche. »

Davantage d’orchidées à l’université

Cela fait longtemps qu’on n’a plus vu la tortue cistude sur les berges de l’étang Bonnefont du campus Peixotto. L’an prochain, une étude « quatre saisons » va être menée sur des parcelles préservées pour, notamment, y détecter d’éventuelles espèces rares. Les orchidées, elles, se portent bien, comme l’a observé le chercheur Bruno Cahuzac qui en a répertorié au moins une douzaine d’espèces, dont deux ou trois particulièrement remarquables. Prochaine étape : une charte de la biodiversité pour consolider la feuille de route, construite avec l’accompagnement du Cerema. « Elle permettra de partager les enjeux clairement avec tous les acteurs du territoire, explique Jean Dubourg, et d’établir un référentiel sur lequel nous appuyer lors de nos opérations d’aménagement - que ce soit l’université ou ses opérateurs. »

Jean Dubourg et Thomas Caignard se croisent beaucoup en ce moment. Jean est allé casser du bitume l’autre jour sur le campus Carreire pour laisser respirer quelques arbres. Sur son écran d’ordinateur, il affiche en deux clics la cartographie précise (le « système d’information géographique ») des milliers d’arbres de l’université : « on renouvelle l’inventaire tous les deux ans pour répertorier les nouvelles plantations, les essences qu’on n’a plus, et pour repérer les espaces où on va pouvoir replanter. » La fiche d’identité de chaque arbre apparaît avec un clic supplémentaire. « Quand le chercheur Bastien Castagneyrol me demande combien il y a de chênes pédonculés sur le domaine universitaire, je peux lui répondre qu’on en a exactement 136. »

Une cartographie détaillée des arbres de tous les campus © université de Bordeaux
Une cartographie détaillée des arbres de tous les campus © université de Bordeaux

Grâce au travail collaboratif mené avec le laboratoire Biogeco, Jean a pu suivre l’évolution des essences d’arbres sur les campus depuis plus de dix ans : « on s’est aperçu qu’on a quasiment multiplié par deux leur variété. » Il se souvient qu’il y a vingt ans, il devait se battre pendant des mois pour obtenir des financements. Désormais, le soutien est pérenne, sur fonds propres de l’université comme sur projets. Et Jean n’en manque pas : « Il faudrait apporter sur le campus, en pied de labo, de salle de TP, une partie du travail effectué dans la forêt expérimentale ; on y réfléchit avec les équipes. » Dans son bureau aux doux airs de cabinet de curiosités, alors qu’il clique encore une fois sur sa souris, on remarque soudain les deux phalanges qui manquent à sa main droite. Alors il révèle, comme si c’était anodin : « Ah mais oui, parce qu’avant d’être architecte, j’étais charpentier ! »


  • Jean Dubourg

    Pôle patrimoine et environnement

    jean.dubourg%40u-bordeaux.fr

  • Marie-Lise Benot

    UF de biologie et laboratoire Biogeco

    marie-lise.benot%40u-bordeaux.fr

  • Thomas Caignard

    Living Lab climat et biodiversité

    thomas.caignard%40u-bordeaux.fr