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Mise à jour le : 23/02/2024
Avec leurs projets de sciences participatives axés sur les insectes, Frédéric Revers et Bastien Castagneyrol font avancer la recherche sur la biodiversité et nous apportent des enseignements précieux sur les populations présentes dans notre région. L’un s’intéresse aux pollinisateurs en général, l’autre à une espèce de punaises invasives en particulier.
Le constat peut sembler a priori bien peu scientifique, mais il est malheureusement révélateur : après de longs trajets en voiture, les conducteurs retrouvaient, il y a encore 20 ans, une myriade d’insectes écrasés sur leur pare-brise, ce qui n’est désormais plus le cas. Le phénomène témoigne d’un déclin spectaculaire des populations d’insectes qu’« une étude allemande a évalué comme supérieur à 60% », explique Frédéric Revers, chercheur écologue au sein de l’unité Biodiversité Gènes et Communautés (Biogeco - Inrae et université de Bordeaux). « D’autres études établissent, de façon certaine, une diminution comprise entre 30% et 60%, due principalement à l’utilisation des pesticides, aux diverses pollutions et à la destruction des habitats. »
En partenariat avec la Direction de la nature de Bordeaux Métropole, Frédéric mène depuis plusieurs années un projet de recherche sur les pollinisateurs sauvages. Ce programme, intitulé Spipoll et fondé à l’origine par le Museum national d’histoire naturelle, doit permettre d’identifier les zones d’importance de la métropole qu’il convient de préserver ou d'aménager pour la biodiversité. « Le suivi consiste à établir la diversité des pollinisateurs sauvages présents sur le territoire, leur distribution, leur relation avec l’environnement, et la façon dont ces insectes réagissent aux changements globaux », détaille Frédéric qui s’est associé, pour ce faire, à un chercheur de l’Institut de Mathématiques de Bordeaux (IMB - Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux), Frédéric Barraquand.
Pour collecter des données d’observation dans des proportions bien supérieures à celles que les chercheurs pourraient obtenir seuls, Spipoll s’appuie sur la participation du grand public, simplement armé de patience et d’un appareil photo. Un protocole simple et l’aide de la technologie – en l’occurrence, une application téléchargeable sur smartphone - permet à qui veut de collaborer à cet état des lieux. « Il suffit d’observer une espèce végétale pendant une vingtaine de minutes et de photographier tous les insectes qui se posent sur les fleurs. Notre outil aide les participants à identifier cette espèce végétale, si elle n’est pas commune comme une pâquerette ou un coquelicot, et les espèces d’insectes pollinisateurs qu’elle attire. Chaque photo est ensuite validée par plusieurs experts. »
Les observations confirment que « les milieux urbains ne sont pas si pauvres en biodiversité qu’on pourrait le croire », souligne Frédéric, « en tout cas, beaucoup moins que certains territoires ruraux soumis à l’agriculture intensive. Et la métropole bordelaise comporte énormément de «points verts», des parcs et des jardins privés qui forment de véritables corridors permettant aux insectes de se déplacer et d’y trouver refuge ». Mis en sommeil durant l’hiver, le programme Spipoll sera relancé au printemps. L’équipe, renforcée depuis 2021 par l’embauche de Samantha Février, ingénieure d’études, espère « recruter » plusieurs centaines de participants et s’y attelle en allant régulièrement à la rencontre du grand public, lors de divers événements associatifs et fêtes de quartier.
Au-delà d’une contribution à l’avancée de ses recherches, Frédéric estime que cette ouverture sur la société est primordiale, permettant de faire rayonner la science et de sensibiliser à la préservation des pollinisateurs sauvages. Derrière l’abeille domestique, surmédiatisée ces dernières années, bourdonnent en effet dans notre climat tempéré un millier d’espèces d’abeilles sauvages, et 20.000 espèces de pollinisateurs appartenant à d’autres ordres que celui des hyménoptères : des lépidoptères (papillons), coléoptères (comme les coccinelles) et diptères (comme les mouches). « Parmi ces insectes, certains sont des pollinisateurs généralistes, qui vont aller se poser sur plein d’espèces végétales différentes, et d’autres se limitent à certaines espèces seulement, voire une seule, comme par exemple la collète du lierre, une abeille dont le cycle de vie est parfaitement synchronisé avec celui de cette plante. Derrière ce partenariat plante/insecte se cachent une multitude d’enjeux, puisque 80% des cultures en Europe sont dépendantes des pollinisateurs. Leur effondrement entraînerait des conséquences majeures sur le taux de reproduction des plantes à fleurs sauvages et la production de fruits et légumes. »
Ce sont d’autres types d’insectes sur lesquels se penche Bastien Castagneyrol, lui aussi chercheur au sein de Biogeco et attentif à faire participer des non-professionnels à la « fabrique de la science ». Au sein de sa thématique principale de recherche, la santé des arbres, Bastien s’intéresse aux insectes herbivores, en particulier « une punaise originaire d’Amérique du Nord qui a été introduite en Europe au début des années 2000, n’a pas fait trop de bruit pendant une quinzaine d’années mais commence à se répandre rapidement sur les chênes de notre région et inquiète les spécialistes de la forêt ». Pour évaluer l’impact réel sur la santé des arbres de cette punaise réticulée - Corythucha arcuata, également appelée tigre du chêne -, Bastien mène des expérimentations en laboratoire mais a également besoin de « milliers d’yeux pour savoir où cette punaise se trouve précisément. »
Là encore, les outils informatiques sont précieux. Toute personne constatant une coloration bizarre sur un chêne durant l’été – un jaunissement de la feuille alors qu’elle devrait être d’un beau vert soutenu – peut d’ores et déjà rapporter cette information sur la plateforme en ligne FAUNA de l’université de Bordeaux. D’autres outils, plus ciblés, seront accessibles l’été prochain dans le cadre du projet OSCAR (Observatoire Scientifique et Citoyen de la Santé des ARbres en ville). « On cherche d’une part à cartographier le problème et, d’autre part, à déterminer si cette punaise est vraiment dangereuse, sachant qu’on ne pourra, de toute façon, que limiter le problème, pas l’éradiquer. En découvrant à quelle vitesse cette punaise se propage, et s’il y a des éléments dans le paysage qui favorisent cette propagation, cela peut nous apporter des enseignements plus généraux sur les mécanismes de dispersion des espèces invasives. »
Bastien constate qu’après quelques balbutiements initiaux, qui ont poussé au développement d’outils technologiques fiables, les sciences participatives sont devenues, ces dernières années, un outil très pertinent pour produire des connaissances. « J’aime bien le mot empowerment, qui n’a pas d’équivalent en français. Je crois qu’à travers l’approche des sciences participatives, on peut aider la population à se saisir des questions scientifiques et d’interagir en conséquence avec le monde social et politique. » Un empowerment d’autant plus crucial à une époque où « le mot écologie est utilisé aussi bien dans des publicités pour du shampooing, des discours politiques que des formations universitaires. Il est bon de rappeler que l’écologie est une discipline scientifique qui ne peut pas se contenter de “bon sens” mais qui doit reposer sur des connaissances. »
Les milieux urbains ne sont pas si pauvres en biodiversité qu’on pourrait le croire, en tout cas beaucoup moins que certains territoires ruraux soumis à l’agriculture intensive.