«Je suis celui qui répare les livres»

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Daniel Gourdé est magasinier spécialisé au Service de coopération documentaire de la Direction de la Documentation de l’université de Bordeaux. Son travail de l’ombre au sein de l’atelier de reliure et numérisation mérite une belle mise en lumière, à l’instar des livres auxquels il donne une nouvelle jeunesse.

Photo : Daniel Gourdé, manipulant la presse à relier et à endosser © université de Bordeaux
Daniel Gourdé, manipulant la presse à relier et à endosser © université de Bordeaux

« Bienvenue dans ma grotte. Je suis le troglodyte de la bibliothèque ! » C’est ainsi que Daniel Gourdé accueille le visiteur qui a la chance de passer la porte de l’atelier reliure, situé au sous-sol de la Bibliothèque universitaire droits lettres (BUDL) sur le campus Montesquieu. L’accès à l’atelier est en effet restreint car ici peuvent parfois transiter des livres précieux.

Autodidacte, perfectionniste et passionné, celui qui évolue aujourd’hui dans ce petit monde à part est né à Bordeaux Caudéran il y a 50 ans. Le jeune Daniel envisage un métier d’extérieur mais se tourne finalement vers un apprentissage en imprimerie. Le métier de maquettiste l’intéresse mais la place étant prise, il devient conducteur de machine offset (sur une Heidleberg). Puis, auprès d’un maître compagnon, il réalise des impressions de luxe, dorées à l’or fin : étiquettes de vin, cartes de visite, invitations… Un problème de perte d’audition, dû au bruit des machines, l’oblige à arrêter et le pousse à reprendre ses études. Il intègre un BTS informatique mais, pour des raisons personnelles, il ne poursuit pas dans cette voie, en plein essor mais très concurrentielle, et connaît alors une période de chômage.

« Quand la chance vous sourit, il faut savoir la saisir ! Ce jour-là, j’étais allé au CIJA consulter les offres d’emploi. Il y avait des offres périmées dans la corbeille mais j’ai tout de même répondu à une offre d’assistant en reliure à la bibliothèque de l’université Bordeaux IV. J’ai obtenu, contre toute attente, un rendez-vous l’après-midi même. J’avais omis de mettre mon expérience en imprimerie sur mon CV, mais l’entretien a débouché sur une embauche… le lundi suivant ! C’est ainsi que j’ai intégré l’université en 1996 », confie Daniel Gourdé, toujours ému et amusé par l’anecdote.

À partir de ce moment-là, il réapprend tout « sur le tas », se forme aux différentes techniques et étapes de la reliure : vérification, démontage, couture des cahiers, consolidation du dos, façonnage, découpe au massicot, collage de la reliure, report de jaquette ou gravure sur toile coton ou Buckram - une toile bibliothèque de haute qualité fabriquée en coton avec un revêtement acrylique soyeux… Chaque étape nécessite un savoir-faire particulier.

« Très peu de bibliothèques disposent d’un atelier avec des machines adéquates »

Après sept années passées à l’atelier, il obtient le concours de magasinier spécialisé 2e classe (catégorie C) et est affecté à la bibliothèque pluridisciplinaire de Bordeaux (place Pey-Berland). Quelques années plus tard, son ancien collègue le rappelle pour relancer le service reliure. Le service de numérisation s’est ajouté quelques années plus tard. « Certains l'appellent l'Hôpital du livre. Ma grande fierté c'est de pouvoir disposer de toutes ces machines au même endroit et de pouvoir répondre aux demandes de réparations et de numérisation. »

Les outils et machines évoluent avec le temps mais le savoir-faire reste le même. Daniel Gourdé est très attaché au façonnage à l’ancienne. Dans un souci constant de qualité, il veille à la meilleure tenue du livre dans le temps couplée à la meilleure expérience de l’utilisateur lors de la consultation. L’acquisition d’une machine pour façonner les dos ronds permet désormais de répondre à cette demande spécifique en interne.

Son activité se partage pour moitié en reliure d’ouvrage anciens ou récents : dictionnaires, monographies, périodiques... et pour l’autre moitié, en numérisation des ouvrages, prioritairement les numérisations à la demande : lorsqu’un étudiant ou une étudiante, ou un membre de la communauté enseignante, a besoin de consulter à distance un ouvrage qui figure au catalogue, Daniel Gourdé le numérise en partie ou en intégralité. Pour cela, la bibliothèque est équipée de deux machines de haute qualité, qui se complètent en fonction des particularités de numérisation (présence de cartographies pliées par exemple). Puis la référence est ajoutée à BabordNum et l’ouvrage remis en rayon. Le service existe également pour les malvoyants avec une version numérisée vocalement.

« Je ne m’ennuie jamais ! Le travail n’est pas forcément répétitif mais il faut savoir s’organiser et être autonome, car les contacts sont restreints », commente-t-il. Heureusement, un jour par semaine, il est également vaguemestre : il récupère les livres laissés dans les boîtes de dépôt pour les rapporter dans l’une des bibliothèques de l’université. « Cela me permet de sortir de ma grotte, de rencontrer des collègues et de repérer les ouvrages abîmés qui vont avoir besoin de mes services ! »

Soucieux de la qualité de son travail et de la conservation de l’objet livre, Daniel Gourdé continue de se former et de prendre des initiatives. Comme celle de la conception de boîtes de rangement pour protéger les livres rares - l’idée lui est venue en observant celle qui renferme un précieux ouvrage de Copernic, conservé dans le fonds ancien. « Je me constitue un Codex personnel, contenant toutes les connaissances acquises tout au long de ces années. Un peu comme le grimoire de Merlin. Mais ça, je le garde secret ! », conclut-il avec un sourire espiègle.

Mon plus grand bonheur, c’est d’avoir un livre entre les mains. 

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