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Mise à jour le : 22/04/2024
Des chercheurs bordelais, spécialistes de l’addiction, étudient le bénéfice d’un traitement thérapeutique mensuel en lieu et place d’une prise quotidienne. Au-delà d’un intérêt scientifique, cette étude nationale a pour but d’évaluer comment améliorer la prise en charge des patients.
En France, il est estimé qu’environ 230 000 personnes présentent une addiction aux opiacés*, plus particulièrement à la morphine et à l’héroïne. Différents traitements existent dont la méthadone ou encore, pour un peu plus de la moitié de cette population, la buprénorphine, médicament couramment utilisé depuis 1996. Jusqu’alors ce traitement était prescrit en dose journalière par voie orale mais une nouvelle forme de ce traitement a vu le jour il y a un peu plus d’un an : la buprénorphine d’action prolongée ou BAP. Elle se présente sous une forme injectable sous-cutanée, hebdomadaire ou mensuelle par un professionnel de santé. C’est ce traitement qu’étudient aujourd’hui les chercheurs du laboratoire Sommeil, addiction et neuropsychiatrie (SANPSY, unité CNRS et université de Bordeaux). En effet, cette unité de recherche rattachée au département Bordeaux Neurocampus a l’habitude de coordonner des études cliniques. L’étude OBAP, pour Observatoire buprénorphine d’action prolongée, est une étude dite prospective et observationnelle. C’est-à-dire que son but est d’évaluer les effets de la BAP dans le cadre naturel de son utilisation, sans autre intervention.
Marc Auriacombe, professeur de psychiatrie et addictologie à l’université et directeur de SANPSY, dirige cette étude. Il tient à rappeler que l’addiction est bien considérée comme une maladie mentale dans les classifications internationales. Appelée aussi trouble de l’usage dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), ouvrage de référence international décrivant et classifiant les troubles mentaux. Elle se caractérise par une perte de contrôle de l’usage dont la conséquence est un usage excessif et une accumulation de complications secondaires. « Parallèlement à l’augmentation de la mortalité, l’addiction s’accompagne ainsi de nombreux dommages dans toute la sphère bio-psycho-sociale. Dans cette situation, une prise en charge spécifique en addictologie devient nécessaire » explique-t-il.
Avec une dose hebdomadaire ou mensuelle, ces derniers sont déchargés d’une partie de la contrainte propre à la prise de tout traitement de maladies chroniques à savoir la quotidienneté, la gestion des boîtes chez soi, le nombre de passages pour délivrance, la stigmatisation associée à la prise, etc.
Pour l’addiction aux opiacés, le traitement par buprénorphine peut permettre de façon aiguë de traiter le syndrome de sevrage qui peut survenir au moment de l’arrêt de l’usage de l’opiacé problématique. Mais il permet surtout de réduire sur le long terme le risque de rechute en réduisant le phénomène dit de craving , ce désir persistant et anormal, une sensation ressentie à la fois comme pressante, perturbante et non souhaitée.
S’il a montré une efficacité dans différentes études en France et en Europe, le traitement de l’addiction aux opiacés par la buprénorphine nécessite cependant d’être pris tous les jours et ce pendant plusieurs années. Cela peut paraître contraignant sur le long terme, précise Jean-Marc Alexandre, attaché de recherche à SANPSY et au centre hospitalier Charles Perrens, qui assure les entretiens de recherche avec les patients inclus dans l’étude. Avec une dose hebdomadaire ou mensuelle, ces derniers sont déchargés d’une partie de la contrainte propre à la prise de tout traitement de maladies chroniques (maladie asthmatique, diabète, trouble bipolaire de l’humeur…) à savoir la quotidienneté, la gestion des boîtes chez soi, le nombre de passages pour délivrance, la stigmatisation associée à la prise, etc. Cela correspond souvent aux souhaits des personnes d’avoir davantage d’autonomie, et finalement facilite l’acceptabilité du traitement sur la durée et donc son efficacité. Cela concourt également à l’efficacité du traitement en supprimant le risque d’oublier de le prendre, ou de le prendre de façon inadéquate.
Pour Marc Auriacombe, l’enjeu de l’introduction du traitement par BAP en France est donc potentiellement majeur, au niveau individuel (meilleure réponse thérapeutique et meilleur bénéfice individuel) comme au niveau collectif (du fait de l’impact négatif sur l’entourage et la société du traitement insuffisant de l’addiction aux opiacés, comme des maladies chroniques en général). De plus, ce traitement est directement administré à la personne par un professionnel de santé, empêchant ainsi toute possibilité de mésusage ou de revente, problématique possible et rapportée avec les formes en prises quotidiennes.
Évaluer au long cours les personnes qui bénéficient de ce nouveau traitement est primordial, afin de réunir des indicateurs réels et objectifs pour étayer (ou éventuellement réfuter) le potentiel de la BAP comme option thérapeutique nouvelle dans le traitement de l’addiction aux opiacés ou simple alternative à l’existant. Il s’agit aussi d’obtenir les retours des premiers concernés, les patients, dont les remontées sont essentielles.
L’étude OBAP a débuté en avril 2023 au niveau national et doit se poursuivre au moins jusqu’en décembre 2024. A ce jour, 87 personnes de toute la France participent à l’étude, via un médecin qui leur a prescrit la BAP et participent à des entretiens à un, deux, trois et six mois après l’instauration du traitement. La sévérité de l’addiction aux opiacés, ainsi que les autres addictions (dont tabac, alcool, autres substances et comportements, y compris comportement alimentaire et utilisation des écrans) sont étudiées ainsi que les troubles psychiatriques éventuellement associés. Leur état médical et psychiatrique, la situation socio-économique, l’état des relations familiales et sociales, ainsi que la qualité de vie et le vécu des personnes y sont aussi évalués.
Il y a deux types de bénéfices possibles à ce traitement selon Marc Auriacombe. Non seulement thérapeutiques, ce qui n’est pas véritablement une surprise pour les chercheurs au vu de la reconnaissance de l’efficacité de la buprénorphine comme traitement, mais l’étude montre aussi un bénéfice sur la vie quotidienne « Les gens se sentent mieux, dans tous les grands domaines de leur vie, au travail… Une amélioration est à noter à la fois via des facteurs objectifs comme le nombre de jours de consommation qui baissent ou subjectifs, telle que leur perception sur un besoin d’aide qui diminue » explique Jean-Marc Alexandre.
Les résultats préliminaires de l’étude OBAP sont donc encourageants pour les chercheurs qui continuent à inclure des personnes dans l’étude.
*Observatoire français des drogues et toxicomanies
Camurus SAS (Buvidal) et Accord Healthcare France (Sixmo) commercialisent des BAP en France et Indivior France SAS envisage une commercialisation prochainement.
L’université de Bordeaux, promoteur de cette recherche, a reçu un financement de Camurus SAS (accord n°AST-CT2022-157). Le financeur n’intervient pas dans le déroulé de l’étude. L’analyse des résultats et leur publication sont de la seule responsabilité du promoteur, l’université de Bordeaux. L’étude est enregistrée sous le n° ID-RCB 2022-A02616-37. Elle est autorisée par le CPP Sud-Méditerranée IV (avis favorable du 22/02/2023), a fait l’objet d’une déclaration de conformité MR002 à la CNIL et est assurée par Biomedic Insure. Enregistrement ClinicalTrials.gov ID NCT06266039.
addictologie@u-bordeaux.fr
05 56 56 17 67