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Un financement européen pour faire parler les os et comprendre l’évolution culturelle humaine

Mise à jour le :

Le Conseil européen de la recherche a annoncé ce jour la liste des lauréats des bourses ERC Starting Grant, récompensant de jeunes chercheurs pour une durée de 5 ans et dotées de plus de 1,5 million d’euros. Luc Doyon, chercheur en archéologie préhistorique de l’université de Bordeaux au sein du laboratoire PACEA, fait partie des lauréats avec le projet ExOsTech.

Photo : Grâce au financement de l'ERC, Luc Doyon a pour projet de déterminer les fonctions des outils en os © Gautier Dufau - université de Bordeaux
Grâce au financement de l'ERC, Luc Doyon a pour projet de déterminer les fonctions des outils en os © Gautier Dufau - université de Bordeaux

Tomber sur un os… Voici une activité qui n’effraie pas Luc Doyon ! Au contraire, le chercheur québécois du laboratoire PACEA1 en a fait son sujet d’études et vient d’obtenir un financement important du Conseil européen de la recherche (ERC) pour le projet ExOsTech2. Aux pierres taillées comme les silex, souvent utilisées comme outils ou armes par les hommes préhistoriques durant une période appelée d’ailleurs l’âge de pierre, il a préféré les matières osseuses (os, ivoire, bois de cervidé...). Pas des objets entièrement sculptés apparus plus récemment mais des outils osseux plus rudimentaires dans une période qui s’étend de 1,8 million d’années à 60 000 ans avant le présent. « Pourquoi et à quel moment l’os devient-il un support qui peut être utilisé voire transformé ? C’est intéressant en termes de nouveaux comportements et d’évolution culturelle, explique-t-il. Les hommes préhistoriques avaient donc une conception de l’animal qui n’était pas uniquement celle d’une source de nourriture ou de chaleur mais aussi de matière première. C’est un comportement unique à notre lignée humaine3 ».

Durant les cinq prochaines années, Luc Doyon va retracer les premières étapes de l’évolution de ces technologies rudimentaires grâce au financement – précis – des 1 743 391 euros de la bourse de l’ERC. Il pourra ainsi constituer une équipe autour de lui (postdoc, doctorant, ingénieurs), acheter du matériel et analyser, en Europe de l’Ouest, Afrique du Sud et en Chine, des collections de centaines voire milliers d’os retrouvés sur différents chantiers de fouille et conservés notamment dans des musées. Le but d’ExOsTech est de développer des outils d’analyse de l’usure des os à l’aide de la tribologie – la science qui étudie les frottements entre deux systèmes en contact dans des domaines variés comme l’archéologie, la cosmétique, l’industrie… - et grâce à l’intelligence artificielle. Le but : déduire les fonctions des outils à partir de données 3D de leur surface ainsi que leurs rôles dans les systèmes culturels passés.

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Distinguer une altération due à l’homme ou à l’environnement

Cette thématique a été peu investiguée jusqu’à présent pour différentes raisons. Tout d’abord, l’identification d’outils en os est difficile puisque des altérations naturelles, comme la dégradation subie par les effets de l’environnement et du temps, lors d’enfouissement peuvent parfois être confondue avec des modifications par l’homme. Ensuite, les méthodes d’analyse pour inférer la fonction des outils en os demeurent essentiellement qualitatives et difficiles à reproduire. 
En combinant l’archéologie expérimentale, qui consiste à reproduire les gestes effectués par les groupes humains passés, la taphonomie expérimentale qui vise à soumettre les outils à des conditions altérant l’os de manière similaire à ce que l’on retrouve sur les sites archéologiques, et la microscopie confocale qui permet la numérisation fine de la surface des objets en 3D et l’extraction de données de rugosité, le chercheur de PACEA pourra déterminer les fonctions des outils de façon reproductible. À terme, avec son équipe, il souhaite créer une interface utilisateur, c’est-à-dire un site mis à la disposition de la communauté scientifique, qui permette de préciser ou confirmer l’utilisation humaine d’un os à l’aide d’une simple photo de l’objet.

Un échantillon de restes d'os de faune de Lingjing, un site chinois vieux de 115 000 ans. Ces fragments d'os longs présentant de telles caractéristiques peuvent donc être interprétés comme ayant été taillés à dessein pour être utilisés comme outils d'appoint © Luc Doyon and al. 2021 Plos One
Un échantillon de restes d'os de faune de Lingjing, un site chinois vieux de 115 000 ans. Ces fragments d'os longs présentant de telles caractéristiques peuvent donc être interprétés comme ayant été taillés à dessein pour être utilisés comme outils d'appoint © Luc Doyon and al. 2021 Plos One

D’une usine de bonbons aux chantiers de fouille

Se retrouver dans la peau d’un homme préhistorique à frapper un os pour en retrouver sa fonction, ce n’est sans doute pas l’avenir auquel s’attendait Luc Doyon. Né au Québec, il a grandi dans la région de la Mauricie, au cœur de la belle Province à environ deux heures de Montréal qu’il rejoint à l’âge de 17 ans pour des études en administration. Le chercheur avait initialement choisi une toute autre voie. Après 8 années d’exercice d’une activité qu’il qualifie de « redondante », différents séjours à l’étranger dont un comme directeur intérimaire responsable de la restructuration financière et logistique d’une usine de bonbons dans le sud de la Chine et surtout une crise financière, il avait « besoin d’un 180° dans un domaine plus rapproché de l’humain ». Souhaitant s’inscrire à l’université en cours du soir comme le permet le système d’enseignement nord-américain, il choisit, un peu par hasard, un cours d’introduction à l’anthropologie. Une matière qui lui est totalement inconnue jusque-là et qu’il ne quittera plus.

Le chercheur et son équipe analyseront les collections de centaines voire milliers d’os retrouvées sur différents chantiers de fouille © Gautier Dufau - université de Bordeaux
Le chercheur et son équipe analyseront les collections de centaines voire milliers d’os retrouvées sur différents chantiers de fouille © Gautier Dufau - université de Bordeaux

Quatre ans plus tard après une licence et un master, il entame une thèse en cotutelle entre l’université de Montréal et l’université de Bordeaux. Pourquoi Bordeaux ? « Parce que c’est la meilleure université francophone dans le domaine de la préhistoire ! » Dès sa licence, il précise avoir été intrigué « par toutes ces incertitudes et l’enquête très large qu’il restait à faire pour essayer de comprendre comment se sont structurés socialement ces groupes du passé, comment cette structure est perceptible à partir de l’analyse des outils, comment reconstituer l’environnement et donc raconter une histoire avec les vestiges qu’on retrouve ». Ce sont ces questions qui vont désormais l’intéresser. Dès son master lors d’un chantier de fouilles à Arcy-sur-Cure dans l’Yonne, il a l’occasion d’étudier un outil en os de Néandertal à usage multiple. Après son domaine d’expertise, il vient de découvrir son objet de prédilection.  

Savoir expliquer son projet de recherche à sa boulangère

Après sa thèse, il effectue un postdoc en Chine, et revient à l’université de Bordeaux via le programme des Talents de l’IdEx puis en postdoc au sein du Grand programme de recherche (GPR) Human Past jusqu’en juillet dernier. Période durant laquelle il continue à donner des cours et passe son habilitation à diriger des recherches.

Pour Luc Doyon, tout est affaire d’opportunités. Lors de l’analyse d’outils en os à Madrid en 2022, il explique avoir eu plus de questions que de réponses. Et c’est là qu’a germé l’idée de déposer un projet dans le programme Starting grant de l’ERC, pour l’obtention duquel son expérience en gestion n’a pas été inutile. Pour lui, il ne faut pas hésiter à postuler, même si cela peut faire peur au départ, et à se faire accompagner du Service de montage et suivi de projet (SMSP) de l’université. Il est primordial d’avoir une question claire – être même capable de l’expliquer à sa boulangère ! – travailler à fond la bibliographie et expliquer pourquoi il est important de financer un tel projet d’envergure et de quoi l’Europe bénéficiera. Puis s’entraîner encore et encore une fois le dossier accepté pour la deuxième phase de l’oral qui ne dure que 30 minutes, dont 3 minutes de présentation, dans le panel composé d’archéologues, anthropologues et historiens.
« Avant c’était un rêve et maintenant, c’est une réalité pour les cinq prochaines années. J’ai hâte de commencer » conclut-il avec un grand sourire.

1De la préhistoire à l’actuel :  culture, environnement et anthropologie (unité de recherche CNRS, ministère de la Culture et université de Bordeaux)
2Revealing the functions of Pleistocene EXpedient OSseous TECHnology with an innovative approach that integrates tribology with AI
3Ce comportement a pu être observé en captivité chez des primates non humains

Deux projets bordelais récompensés par le Conseil européen de la recherche - ERC

494 scientifiques sont récompensés lors de cet appel ERC pour un total de 780 millions d'euros.
Le projet de Luc Doyon est l'un des 49 projets français retenus pour 2024 avec PUMBA, celui de la chercheuse du CNRS Marion Mathélié-Guinlet du laboratoire Chimie et biologie des membranes et nano-objets (CBMN - unité Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux). 

Créé en 2007, l’European Research Council - ERC (Conseil européen de la recherche) attribue chaque année des bourses de recherche individuelles à des scientifiques talentueux. Parmi elles, les appels ERC Starting Grants s'adressent à des jeunes chercheurs en début de carrière (de 2 à 7 ans après la thèse). Avec 1,5 à 2 millions d'euros en moyenne sur 5 ans, chaque lauréat pourra développer une équipe de son choix, autour d'une problématique scientifique exploratoire, située aux frontières de la connaissance.

Lien vers le communiqué de l'ERC (en anglais)

Contacts

  • Luc Doyon

    Chercheur en archéologie préhistorique

    luc.doyon%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr

Lire le communiqué de presse