• Formation
  • Transitions

Un enseignant dans l'air du temps

Mise à jour le :

Professeur de chimie atmosphérique à l'université de Bordeaux, Éric Villenave sensibilise depuis longtemps ses étudiantes et étudiants aux enjeux de la transition environnementale, se servant du campus comme terrain d'expérimentation pour leur apprendre à mesurer la qualité de l'air et à réfléchir au changement climatique.

Photo : Éric Villenave coordonne le Living Lab UB-Breathe sur la qualité de l'air et le changement climatique associé © Gautier Dufau
Éric Villenave coordonne le Living Lab UB-Breathe sur la qualité de l'air et le changement climatique associé © Gautier Dufau

Comme souvent avec les enseignants-chercheurs, a fortiori quinquagénaires, difficile de dérouler le curriculum vitae d’Éric Villenave, professeur de chimie atmosphérique à l’université de Bordeaux et chercheur au sein du laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC, unité Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux), ancien directeur d’unité, de composante, chargé de mission « océan et atmosphère » à la direction du CNRS à Paris, directeur de l’Observatoire Aquitain des Sciences de l’Univers ou encore membre du comité des programmes de l’Institut polaire Paul-Émile Victor… Il s’excuse de livrer « dans le désordre » ces tranches de vie professionnelle qui lui laissent d’excellents souvenirs mais pour lesquelles il ne conçoit aucune nostalgie : « Je n’ai jamais voulu rester trop longtemps à un poste, par peur de me « l’approprier », de tenir les choses pour acquises et de ne plus être ouvert à la nouveauté. C’est un principe que j’applique avec bonheur car il me permet de toucher à plein de domaines différents et de construire une expertise qui m’est propre, nourrie par le contact avec d’autres disciplines que la mienne. »

Le fil conducteur de cette riche carrière, c’est la pédagogie : « J’ai toujours voulu être enseignant, se souvient Éric, c’est un endroit où je me trouve utile. » Seul bachelier de sa famille, il finance ses études en donnant des cours particuliers, puis devient prof de maths dans une « boîte à bac remplie de fils à papa » qu’il parvient à apprivoiser. Parce qu’il est à peine plus âgé qu’eux, sans doute, mais surtout parce qu’il applique déjà spontanément les principes d’une pédagogie active qui captive ses élèves. 30 ans plus tard, cette approche infuse toujours autant son enseignement, comme quand il fait cours dehors, avec quelques collègues, en donnant par exemple rendez-vous à ses étudiants, stupéfaits, sur le parking du centre commercial des Rives d’Arcins, à Bègles, « en face du Mac Do, sous l’abri à caddies ».

« Je leur demande pourquoi on est là et je les laisse analyser : les poubelles saturées devant le temple de la malbouffe, un immense parking goudronné, quasiment vide la plupart du temps, une chaleur infernale sous le toit en plastique de l’abri… Puis on se rapproche de la Garonne dans un petit bois - la température baisse alors de dix degrés à l’ombre des arbres -, on aperçoit les carrelets des pêcheurs et on continue jusqu’à l’usine de retraitement des déchets, puis la station d’épuration, et on arrive en bord de rocade, où on tombe sur une piste cyclable aberrante, évidemment fermée. Chemin faisant, les étudiants découvrent toutes les thématiques de leurs cours, la biodiversité, le climat, la pollution … » En les questionnant, Éric leur dévoile aussi le parcours qui sépare la conversation de comptoir du raisonnement scientifique, n’hésitant pas à taquiner leurs idées préconçues : « quand je leur demande si la Nature pollue, ils me répondent « non, évidemment ! », alors je leur parle des volcans », s’amuse-t-il, jamais las de ces jeunes esprits curieux, créatifs et volontaires.

Démonstrateur pédagogique

Ses étudiants, eux aussi, le « bluffent » régulièrement, quand il les lance sur des projets tutorés et qu’ils rapportent des résultats dans une ampleur qu’Éric n’aurait jamais imaginée. Comme ce groupe de Master qui avait choisi lui-même son sujet, relatif à la santé, l’idée initiale étant de mesurer le meilleur chemin à emprunter pour un étudiant voulant rejoindre l’université. Équipés de capteurs (de polluants, de particules, d’oxyde d’azote) qu’ils ont appris à utiliser, ces apprentis-chercheurs ont expérimenté de multiples trajets - sur des routes peu fréquentées ou derrière le pot d’échappement d’un bus -, en voiture - fenêtres ouvertes puis fermées… « Ils étaient cinq, je pensais qu’ils choisiraient un trajet chacun, mais ils en ont étudié… 54 ! » Éric explique que les capteurs ont pu être achetés grâce au programme ACT, qui lui a également fourni un cadre et des financements pour d’autres projets démonstrateurs, témoignant de la démarche de type « Living Lab », expérimentale et interdisciplinaire, qu'il déploie dans UB-Breathe.

Le festival Mayday a servi de laboratoire à ciel ouvert pour un groupe d'étudiants qui en a évalué l'impact environnemental © Caryan
Le festival Mayday a servi de laboratoire à ciel ouvert pour un groupe d'étudiants qui en a évalué l'impact environnemental © Caryan

« L’an dernier, pendant le festival Mayday sur le campus, 13 étudiants de Licence et de Master se sont portés volontaires pendant un mois et demi, en-dehors de leurs cours, pour mesurer l’impact environnemental du festival - des moyens de transport des spectateurs aux modes de cuisson des foodtrucks, en passant par la fumée diffusée sur scène pendant les concerts… On a mis des capteurs partout, jusque sur le toit du Haut-Carré, c’était ludique en plus d’être scientifique ! Ils ont suivi les mesures en temps réel, pendant et après le festival, ont été force de proposition tout au long du projet, autonomes, totalement investis. C’était incroyable », se souvient Éric, épaté. Depuis, huit autres projets ont vu le jour, emmenant les étudiants dans une école primaire bordelaise pour évaluer la qualité de l’air dans la cour, ou sur les allées de Tourny pendant le marché de Noël, ou encore dans les logements de certains étudiants qui s’étaient mis en tête de mesurer les émanations de leurs soirées-raclette enfumées par les cigarettes…

Les résultats recueillis sur les campus entourés de vignobles leur ont donné matière à réflexion sur l’impact des pesticides. En évoquant le sujet, Éric confie ses considérations sur la posture des chercheurs face aux problèmes de santé publique : « Je ne pense pas que lancer l’alerte en faisant peur soit la seule voie efficace, je préférerais communiquer sur l'évolution des usages, la déconcentration des pesticides au fil des ans et diffuser un message responsable sur la question. » Le citoyen affleure derrière l’enseignant-chercheur, qui s’est déjà fait taxer d’« activisme » par des interlocuteurs politiques sur la défensive : « Mon père était délégué syndical pendant 30 ans, cela a évidemment forgé ma culture politique et je me considère comme quelqu’un d’engagé, mais je fais de la recherche, je constate des faits scientifiques, et quand je témoigne de mon expertise devant les politiques, je suis inattaquable sur mon travail. »

Des valeurs écologistes, sans prosélytisme 

En fouillant dans les origines de la vocation du chimiste atmosphérique, on découvre que ses parents vivaient à Pessac, dans un lotissement situé sur le tracé de la rocade bordelaise : « les quatre voies allaient passer juste derrière leur maison, elle a servi de témoin pour la mesure des bruits de la quatre-voies. Je me souviens des capteurs qui avaient été installés chez nous. » Le bois dans lequel jouait Éric enfant a été rasé, les voitures et les camions ont remplacé les arbres… Son père faisait partie de l’association qui a obtenu que la rocade ne passe pas au niveau des maisons mais soit enterrée plusieurs mètres en-dessous, et qu’un mur anti-bruit soit érigé le long des habitations. « Voilà un exemple d’activisme positif : la rocade était d’intérêt public, bien sûr, mais ses riverains ont obtenu, grâce à leur action collective, que les nuisances soient aussi réduites que possibles. »

Aujourd’hui, le chercheur spécialiste de la formation et la dégradation des polluants dans l’air ne se revendique pas « écolo ». Il constate juste que, depuis 2020, lui qui a toujours mené d’intenses collaborations professionnelles aux États-Unis ne s’est rendu qu’une seule fois en avion à l’étranger. « Quand j’ai calculé mon bilan carbone, j’ai réalisé que les transports en constituaient l’écrasante majorité, donc je les ai réduits considérablement, et j’ai aussi acheté une voiture électrique. J’ai aussi fait des travaux d’isolation chez moi qui ont réduit considérablement ma facture d’électricité. Mais je m’estime chanceux, car j’ai les moyens financiers de le faire. Je n’irai jamais donner des leçons aux autres. » Quand il veut se ressourcer, Éric se rend en forêt. Il est « fan absolu des arbres », comme en témoignent les livres qui l’entourent dans son bureau : « la forêt est un endroit où on constate des taux de pollution raisonnables et où on peut atteindre un niveau de bien-être satisfaisant. C’est peut-être ça, mon conseil écolo, accessible à tous : promenez-vous en forêt ! »

  • Toutes et tous formés aux transitions

    Éric Villenave est l'un des enseignants qui pilotent le chantier d'intégration des enjeux des transitions environnementales et sociétales dans l'offre de formation de l'université de Bordeaux.