• Recherche

« Que le médicament, rien que le médicament… je le jure ! »

Mise à jour le :

Hydroxychloroquine, vaccins… le pharmacologue Mathieu Molimard s’est régulièrement exprimé dans la presse lors de la crise du Covid-19. Retour avec lui sur une période médiatique chargée.

Photo : Pour le professeur Mathieu Molimard, les universitaires doivent s'exprimer pour ne pas laisser la place à la désinformation © DR
Pour le professeur Mathieu Molimard, les universitaires doivent s'exprimer pour ne pas laisser la place à la désinformation © DR

Mathieu Molimard est professeur à l’université de Bordeaux et praticien hospitalier au CHU. Pharmacologue clinicien et pneumologue, chef du service de pharmacologie médicale au CHU, c’est dans un tout autre environnement qu’il a évolué tout au long de l’épidémie, celui des médias et du réseau social Twitter, devenu X. 

Comment entrez-vous sur la scène médiatique au moment de la crise du Covid-19 ?

Le samedi juste avant le premier confinement, j’échangeais avec deux collègues membres de la Société française de pharmacologie et thérapeutique (SFPT), les professeurs Jean-Luc Cracowski de Grenoble et Vincent Richard de Rouen. On sentait que les gens commençaient à paniquer, se posaient des questions concernant le fait d’arrêter leur traitement (corticoïdes, anti-inflammatoires…) à cause du virus. Donc nous avons créé, avec l’aide d’internes notamment ce qui nous paraissait le plus efficace à ce moment-là, une Foire aux questions (FAQ). Elle concernait les usages des médicaments dans le cadre de l’épidémie, était basée sur la littérature scientifique et les données que nous avions. Ce qui était important était notre crédibilité et de donner la réalité des faits.
Puis la question de l’hydroxychloroquine est arrivée dans les médias, et vu que c’est dans mon champ de compétences, je m’y suis intéressé. Je m’aperçois assez vite, comme d’autres, que pharmacologiquement, il n’est pas possible que ce médicament soit efficace.

Ayant commencé à relayer sur mon compte Twitter la FAQ et notamment nos conclusions sur l’hydroxychloroquine, le nombre de mes followers a augmenté de façon exponentielle et parmi eux des journalistes. J’ai commencé à être contacté par la chaîne LCI puis Europe 1. J’avais eu une première expérience en presse écrite, il y a plusieurs années, où j’avais trouvé que mes propos avaient été dénaturés donc je ne souhaitais plus trop répondre aux médias. Mais il était important de faire entendre un discours différent à un moment. J’ai tout de même pris conseil auprès d’un journaliste qui intervient dans une de nos formations. Il fallait que je reste dans mon domaine de compétences. Que le médicament, rien que le médicament, je le jure ! Et essayer de ne pas tomber dans de possibles questions pièges.  

Pensez-vous que les scientifiques doivent s’exprimer dans les médias ?

Je pense que nous avons un rôle sociétal en tant qu’universitaires et oui, les scientifiques doivent s’exprimer. Pour ne pas laisser la parole à la désinformation. On ne peut pas ne pas intervenir quand on a une compétence dans un domaine. Mais il ne faut pas oublier de caractériser des faits et non des personnes, surtout dans le cadre de cette épidémie.

Il faut aussi pouvoir s’entraîner et apprendre à communiquer dans les médias, car ce n’est pas un exercice facile. Je suis d’avis que les jeunes enseignants-chercheurs puissent être formés au début de leur carrière à ces questions. Moi, j’ai appris sur le tas même si j’ai pu participer à des sessions de média-training par la suite. J’ai créé un groupe communication à la SFPT de 24 membres où nous échangeons régulièrement et nous sommes plusieurs à pouvoir répondre aux journalistes.

Il y a par contre des effets indésirables à la médiatisation. Je reçois régulièrement des mails scandaleux d’insultes, ainsi que les personnes qui travaillent avec moi. J’ai été menacé de mort et j’ai dû porter plainte. On n’est pas formé non plus à se faire menacer de mort. Sur Twitter, je bloque très vite les comptes qui m’insultent. D’ailleurs si je ne peux plus le faire (du fait de l’arrêt possible de cette fonctionnalité, ndlr), je changerai de réseau social.

En mai dernier, vous avez été en tête de file d’une tribune sur la recherche clinique à l’IHU Marseille. Racontez-nous.   

Début avril, on a pris connaissance d’une étude de l’IHU Marseille sur l’hydroxychloroquine présentée comme la plus grande faite sur 30 000 patients jusqu’en décembre 2021. Pourtant depuis le 27 mai 2020, les dispositions dérogatoires qui autorisaient la prescription de ce médicament contre le Covid-19 à l'hôpital, hors essais cliniques, ont été abrogées. De plus, l’ANSM* a refusé d’accorder une recommandation temporaire d’utilisation** en octobre 2020.
Donc il n’était pas possible de l’utiliser de manière systématique pour tous les patients comme cela a été fait, hors du cadre de son autorisation de mise sur le marché (AMM) et des essais cliniques, depuis mai 2020. Les bras m’en sont tombés. Il était important de réagir
J’ai eu la chance dans mon cadre familial de connaître la résistante Lucie Aubrac qui avait cette formule : « ne pas accepter l’inacceptable ». J’ai consulté le président de la SFPT et nous avons décidé de publier une tribune dans le Monde, en demandant à différentes sociétés savantes si elles souhaitaient y être associées. La plupart ont accepté mais trois ont refusé par peur de représailles, de procès en diffamation. Je n’avais jamais connu un tel climat en recherche.
Cette tribune est sortie le 28 mai 2023. Aujourd’hui, nous attendons de savoir ce qui va être fait. Quelles sont les conséquences ? Il nous parait indispensable notamment qu’il y ait un ménage dans les publications scientifiques. Que celles, comme cette étude de l’IHU, qui ne respectent pas les règles éthiques de la recherche et la sécurité des patients, soient retirées.

Vous êtes intervenu régulièrement dans les médias ou sur Twitter. Ce n’est pas lassant de répéter les mêmes choses ?

Non, je suis enseignant. Et enseigner, c’est la répétition ! Aujourd’hui ce qui change, c’est surtout la cible. Avant je m’exprimais devant les scientifiques, les étudiants et les patients. Aujourd’hui, c’est le grand public. Mais il faut bien sûr une appétence pour cela. Je n’aurais pas été enseignant si je ne l’avais pas.
 
Par contre, je n’interviens que dans mon domaine de compétence, je ne donne pas mon avis s’il n’est pas question de médicament ou de pneumologie, ma formation médicale première. J’ai refusé de nombreuses interviews que ce soit sur les variants, l’évolution du virus, etc. 

Est-ce qu’il y a un avant et après Covid ? 

Oui, notamment au niveau de notre rôle à la Société française de pharmacologie et thérapeutique (SFPT). Je pense que nous n’avions pas perçu le rôle sociétal que nous pouvions avoir. Notre FAQ liée au Covid avec près de 200 questions/réponses a totalisé près de 4 millions de vues. Donc le travail du groupe appelé Pharmacofact créé au début de l’épidémie continue aujourd’hui dans d’autres domaines : la vaccination contre les infections à papillomavirus humains (HPV), l’augmentation de l’oxycodone dans la prise en charge de la douleur, les fluoroquinolones mis sur le devant de la scène médiatique par une association de patients ou encore le traitement de désensibilisation aux arachides…

D’ailleurs je pense qu’il y a un manque de culture en général, d’éducation, de formation même dès l’école sur la santé publique. Un médicament est trop souvent considéré dans notre société comme un bien de consommation de tous les jours, un bonbon. Certains sont parfois dangereux, donc il faut toujours pouvoir évaluer le bénéfice/risque.

Vous avez été parfois qualifié dans les médias de « lanceur d’alerte », qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas ce que veut dire le terme lanceur d’alerte. Je n’ai fait que mon métier et dénoncer une dérive inacceptable en recherche clinique. J’ai mis toute mon énergie pour dire stop et organiser une réaction des sociétés savantes pour alerter la presse et les autorités afin d’y mettre un terme. C’est ça la définition ?

 

* L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
** Une recommandation temporaire d’utilisation, autorise pour une durée maximale de trois ans, en l’absence d’alternative médicamenteuse autorisée, la prescription d’un médicament disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), dans une indication ou dans des conditions d’utilisation différentes de celles prévues par son AMM.