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[Podcast] Santé mentale des jeunes : agir au plus tôt

Mise à jour le :

Augmentation des consultations et passages aux urgences, hausse de la consommation d’antipsychotiques, sondages inquiétants… tous les signaux sont au rouge quant à la santé mentale des jeunes ces dernières années. Le 11 avril 2024, les Rencards du savoir se penchaient sur le phénomène.

Photo : Des paroles d'étudiantes et étudiants recueillies sur les campus  © Espace Santé Étudiant
Des paroles d'étudiantes et étudiants recueillies sur les campus © Espace Santé Étudiant

En 2023, 41 % des étudiantes et étudiants bordelais auraient souffert de symptômes dépressifs, contre 26 % avant la crise sanitaire. Ils auraient également été 29 % à témoigner de pensées suicidaires, 8 % de plus qu’auparavant. Ces estimations, issues d’une étude en cours de publication menée par l’université de Bordeaux et l’Inserm, viennent appuyer d’autres travaux et enquêtes. Le constat est alarmant : la santé mentale des jeunes adultes, mais également des lycéens et collégiens, s’est détériorée ces dernières années, en France comme à l’étranger.

Alors que les associations demandent de faire du phénomène « une grande cause nationale », il y a urgence à comprendre les facteurs sous-jacents et apporter des réponses adaptées. Le 11 avril dernier, au pôle de vie du campus Carreire de l'université de Bordeaux, les Rencards du savoir accueillaient pour en parler Florence Touchard, infirmière à l’Espace Santé Étudiants, spécialisée en santé mentale et risque suicidaire et Marie Tournier, professeure de psychiatrie de l’adulte à l’université de Bordeaux, psychiatre à l’hôpital Charles Perrens et co-autrice de la récente étude bordelaise.

Rencontre des professionnels de santé de l'ESE avec les étudiants sur les campus © Espace Santé Étudiant
Rencontre des professionnels de santé de l'ESE avec les étudiants sur les campus © Espace Santé Étudiant

La crise sanitaire, un accélérateur

À la recherche d’une cause bien identifiée, la Covid-19 et ses répercussions (décès, isolement social…) est unanimement pointée du doigt. Un raccourci dont Marie Tournier invite d’entrée de jeu à se méfier : les sources d’angoisse sont multiples et les troubles psychiatriques, multifactoriels. « L’impression que nous avons, c’est qu’avant la pandémie la prévalence des troubles augmentait déjà, mais que cette hausse s’est nettement accélérée avec elle », explique-t-elle.

Autre nuance importante, ce constat d’une dégradation de la santé mentale englobe une diversité de situations. S’il y a mal-être, il n’y a pas nécessairement trouble psychique. Ainsi, parmi les 41 % de jeunes déclarant souffrir de symptômes dépressifs, certains vivent un épisode douloureux qui peut être transitoire - « la santé mentale est un continuum, avec des hauts et des bas », rappelle Florence Touchard. Mais si les symptômes se révèlent nombreux, persistants et entravent des activités quotidiennes, ils deviennent pathologiques : il s’agit alors d’une maladie, la dépression, nécessitant des soins médicaux.

Apporter une réponse graduée

Distinguer ce qui est pathologique de ce qui ne l’est pas ne doit minimiser en aucun cas le mal-être. Toute souffrance psychologique demande un accompagnement, différent selon les cas, allant « d’une orientation vers des livres d’auto-aide » à « du soutien psychologique par des associations et soignants de première ligne » jusqu’à « des hospitalisations », énumère Florence Touchard. Et il est nécessaire d’agir le plus précocement possible, afin d’éviter, par exemple, qu’un mal-être ne mène à une dépression – la plupart des troubles psychiatriques de l’adulte apparaissant entre 15 et 25 ans.

Rencard du savoir au pôle de vie du campus Carreire de l'université à Bordeaux © Espace Santé Étudiant
Rencard du savoir au pôle de vie du campus Carreire de l'université à Bordeaux © Espace Santé Étudiant

Deux dispositifs peuvent faciliter l’accès à un suivi psychologique :

  • Mon soutien psy : toute personne peut demander à en bénéficier. Il permet désormais de se faire rembourser jusqu’à douze séances de consultations chez les psychologues adhérant au programme.
  •  Chèque psy étudiant : réservé aux étudiantes et étudiants, il permet de bénéficier de huit consultations sur l’année universitaire et ce, sans avance de frais. Un courrier d’adressage doit être réalisé par une personne agréée (médecin généraliste, espace santé étudiants…).
  • Par ailleurs, pour rappel, le numéro national de prévention du suicide : 31 14

Il n’est jamais facile de reconnaître son mal-être et demander de l’aide. Florence Touchard met ainsi en avant la nécessité de former un maximum de personnes à détecter précocement les premiers signes et à adopter la bonne posture via le programme de premiers secours en santé mentale (PSSM). Un programme à redécouvrir dans le podcast du café-débat, ainsi que d’autres pistes pour répondre à cet enjeu de santé publique.

En complément du podcast, trois questions à Tonya Tartour, sociologue au centre Émile Durkheim*, qui devait initialement participer à la rencontre.

Les problématiques environnementales sont mises en avant pour expliquer la détresse persistante des jeunes. Cette « éco-anxiété » suscite même des réactions critiques face à la couverture médiatique du changement climatique, jugée trop « anxiogène ». Qu'en penser ?

Il est intéressant de constater que si la thématique environnementale est omniprésente dans l’actualité et le débat public, elle occupe rarement la première place des préoccupations dans les réponses aux enquêtes. De la perspective d’une jeune personne, c’est plutôt que la crise écologique éclate dans un contexte déjà fortement anxiogène, entre les difficultés économiques, les faibles perspectives d’insertion dans le monde professionnel, la multiplication des conflits armés, etc. Si on dit que chaque génération connait son lot de malheurs, la différence pour les plus jeunes d’entre nous est sans doute cette hyper-connexion aux actualités mondiales qui les rend plus vulnérables face aux mauvaises nouvelles.

Malgré cette hyper-connexion, les jeunes générations se sentiraient paradoxalement de plus en plus isolées - un manque de tiers-lieux pour se retrouver est notamment pointé du doigt. Des études en sociologie font-elles état de ce problème ?

En sociologie, la notion fondatrice est sans doute celle d’institution. Pour le sociologue Émile Durkheim, les institutions sont
« toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité », c’est-à-dire des manières collectives d’agir et de penser qui nous précèdent et nous survivent. Or, selon lui, lorsque ce ne sont plus ces normes sociales qui guident les conduites des individus, ces derniers sont en situation d’« anomie ». Sans aller jusqu’à des manifestations extrêmes de l’anomie comme peut l’être le suicide sur lequel il fonde son étude initiale, le recul des règles et des contraintes morales collectivement partagées installe l’individu dans une situation de très grand malaise. On remarque aujourd'hui la montée en puissance d'identités de plus en plus parcellisées, avec des difficultés à faire groupe et se référer à des modèles qui nous attirent et nous ressemblent.

Si la crise sanitaire a impacté la santé mentale des jeunes, elle a également mis en lumière cet enjeu de santé publique jusqu'alors peu visibilisé. Avez-vous observé une libération de la parole ?

Je ne sais pas si l’on doit parler de « libération de la parole », mais en tout cas il y a un processus de déstigmatisation qui est bel et bien en marche, et tant mieux ! Cette déstigmatisation de la souffrance psychique permet d’accéder plus facilement aux soins et on sait combien une prise en charge précoce des troubles permet d’accroitre les chances de guérison et la qualité de vie du patient. Mais pour l’instant, cette déstigmatisation touche davantage les troubles mineurs, en lien avec les troubles anxieux ou la dépression par exemple. On entend moins parler des psychoses et des handicaps mentaux.

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

*unité CNRS, Sciences Po Bordeaux et université de Bordeaux

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