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[Podcast] Les écrans, trop addictifs ou... trop diabolisés ?

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Smartphones, ordinateurs, consoles et tablettes inquiètent quant à leurs multiples effets sur la santé, notamment celle des plus jeunes. Mais c’est avant tout d’addiction dont on entend parler : tous accros veut-il dire tous addicts ? Le 17 mars 2024, les Rencards du savoir se penchaient sur la question.

Photo : De nombreuses questions se posent sur notre rapport aux écrans : serions-nous tenus par une addiction ? © M. Vrench
De nombreuses questions se posent sur notre rapport aux écrans : serions-nous tenus par une addiction ? © M. Vrench

Face à l’inquiétude croissante autour du temps d’écran chez les plus jeunes, c’est le branle-bas de combat : en janvier, le gouvernement a rassemblé un groupe d’experts devant statuer sur les dangers associés aux usages excessifs et sur la bonne stratégie à adopter. Ceci, en l’espace de seulement trois mois. Si les enjeux sanitaires comme sociétaux sont importants, les prises de parole sur le sujet affolent parfois plus qu’elles n’éclairent. Entre stéréotypes et avis à l’emporte-pièce, voire fake news, se distille la peur d’une addiction plus ou moins généralisée…

Le 17 mars dernier, dans le cadre de la semaine du cerveau, un café-débat des Rencards du savoir proposait de faire le point sur le sujet et de questionner les leviers d’action. Étaient invités à Cap Sciences, Zoé Wante, chargée de prévention pour l’association Addiction France, Jean-Marc Alexandre, attaché de recherche au laboratoire Sommeil, Addiction, Neuropsychiatrie (Sanpsy - CNRS et université de Bordeaux) et au centre hospitalier Charles Perrens, ainsi que Matthieu Danias-Uraga, chercheur associé au laboratoire de Psychologie (Labpsy - université de Bordeaux), enseignant à l’université catholique de Niort et psychologue.

 

Au service d’addictologie du centre hospitalier Charles Perrens, Jean-Marc Alexandre participe à l’évaluation des patients dans le cadre de leur demande de soins et de leur participation volontaire à la recherche, y compris ceux souffrant d’addiction aux écrans. Leur moyenne d’âge n’est pas aussi jeune qu'on pourrait l’imaginer : « 38, 39 ans », estime-t-il. Cela peut s’expliquer, en partie, par le fait qu’ils sont souvent passés par plusieurs étapes avant de consulter. Reste que les intervenants en conviennent : la focale mise sur les enfants et adolescents gagnerait à être élargie, notamment aux seniors.

Autre idée reçue : le supposé raz-de-marée d'« addicts », qui ne semble pas être au rendez-vous. S’il y a peu d’estimation de la prévalence de l’addiction aux écrans, une étude à laquelle a participé Jean-Marc Alexandre concluait que seuls 1,7 % des 300 personnes interrogées répondaient aux critères de diagnostic. En revanche, près de la moitié d’entre eux présentaient divers comportements problématiques dans leurs usages numériques...

Echange entre les intervenants du café-débat de la Semaine du cerveau à Cap Sciences.  © A. Lassègues
Echange entre les intervenants du café-débat de la Semaine du cerveau à Cap Sciences. © Université de Bordeaux

Une durée à relativiser  

Première mise au point : « faire » beaucoup d’écran ne veut pas dire que l’on est « addict », comme on l’entend trop souvent. « L’addiction, ce serait plutôt en faire alors que l’on ne voudrait pas », corrige Jean-Marc Alexandre. L’usage devient irrépressible, décontextualisé et les tentatives d’arrêt se soldent par des rechutes. Des symptômes s’avérant être peu ou prou les mêmes quels que soient les objets de l’addiction - une substance ou un comportement. La dépendance peut ainsi « passer d’un objet à un autre », précise le chercheur. C’est un des aspects méconnus de cette maladie, trop souvent mal comprise, même dans l’entourage du malade. Zoé Wante compare ainsi l’individu à un arbre dont l’addiction aux écrans serait une branche : si on la coupe, elle va repousser sous la forme d’un autre objet addictif et c’est donc aux causes racines de la maladie qu’il faut s’attaquer.

 

Derrière l’écran, des jeunes qui explorent

Au-delà d’une dépendance au smartphone ou à la console, il s’agit donc de « dépasser l’objet pour s’intéresser aux usages », appuie Zoé Wante. Et force est de constater que ces derniers ne sont pas toujours bien compris. « Il y a un travail à mener en particulier avec les parents, note-t-elle, en les amenant d’abord à évaluer leur propre temps d’écran mais aussi à s’intéresser à ce que font leurs enfants – comprendre, par exemple, leurs jeux-vidéos, voire en faire un avec eux. »
« Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, il y a dix ans, on me disait que ce qui se passait sur les réseaux sociaux, ce n’était pas la vraie vie », témoigne pour sa part Matthieu Danias-Uraga. Pourtant, bien souvent, ce qui se fait en ligne se prolonge en contexte hors ligne, et vice-versa. Les « écrans » font même désormais partie intégrante de la construction de l’identité, portail vers un ailleurs permettant de se comparer, s’identifier et expérimenter des engagements. Difficile d’imaginer alors les supprimer du jour au lendemain, notent les intervenants, qui misent plutôt sur l’accompagnement ainsi que l’identification des profils à risque. Mais c’est là où le bât blesse : « peu d'études portant sur les usages du numérique chez les jeunes, se focalisent sur les critères objectifs de leurs usages », déplore Matthieu Danias-Uraga.

 

Un important travail de compréhension et de définition des usages, notamment chez les plus jeunes. © K. Grabowska
Un important travail de compréhension et de définition des usages, notamment chez les plus jeunes. © K. Grabowska

Mieux cerner les usages risqués

Ce manque de connaissances a poussé le psychologue à mener une étude longitudinale durant ses cinq années de doctorat. Il a pu noter, notamment, qu’un manque d'estime de soi peut être associé à un fort usage des réseaux sociaux doublé d’une présentation peu réaliste de sa personne – un « faux-soi », décrit-il. Or, à long terme, l'écart se creuse entre ce que le sujet perçoit de lui-même et ce qu'il donne à voir virtuellement, générant une dépréciation d’autant plus grande. Une utilisation trop passive des réseaux sociaux est également à surveiller, c’est-à-dire la consommation d’informations sociales sans chercher à interagir, celle-ci pouvant générer jalousie et autres émotions négatives.
Dans cette tendance au scroll infini, la responsabilité évidente des plateformes interroge les dérives du neuromarketing. D’une évolution de leur régulation à la nécessité de développer la recherche sur les usages numériques, les intervenants ont exploré plusieurs pistes d’action à (re)découvrir en podcast… et via l’écran de son choix !

Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir

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  • Prochain Rencard du savoir «La santé mentale des jeunes mise à mal»

    Ce café-débat, suivi d'ateliers "bien-être", est organisé par le service culture de l'université de Bordeaux. Il aura lieu le 11 avril prochain à 18h30 au pôle de vie campus Carreire, 135 rue Bethmann.