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Mise à jour le : 18/12/2023
Il y a des notes écorchant toutes les oreilles et d’autres résonnant différemment en chacun de nous. Fait culturel, expérience intime, la musique est aussi la fascinante traduction d’une symphonie de sons par le cerveau. Le 14 novembre 2023, les Rencards du savoir se penchaient sur cette mystérieuse musicalité.
L’été dernier, des chercheurs de l’université de Berkeley en Californie* ont réussi à reconstituer le hit Another Brick In the Wall (partie II) des Pink Floyd à partir de la seule analyse des ondes cérébrales générées pendant son écoute. Derrière la prouesse technique, se cache la volonté de mieux comprendre des mécanismes cérébraux ne cessant de fasciner. Car si l’auditeur n’entend pas un brouhaha sonore incohérent mais un groove entêtant, c’est, certes, que le titre est efficace, mais également que son cerveau est bien outillé… et rôdé !
Quels secrets font d’Homo sapiens un Homo musicus ? Le café-débat des Rencards du Savoir du 14 novembre, à la médiathèque de Sainte-Eulalie dans la métropole bordelaise, se penchait sur la question. Laurent Demany, chercheur émérite CNRS en psychoacoustique à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d'Aquitaine (INCIA - CNRS et université de Bordeaux), Gérald Guillot, maître de conférences à l’université Bordeaux Montaigne en ethnomusicologie, musiques actuelles et didactique de la musique ainsi que Mathias Sanchez, musicien intervenant dans des structures petites enfances et spécialisées, ont partagé connaissances et points de vue.
Une mélodie s’apparenterait-t-elle à une forme de langage ? « Entre la parole et la musique, il y a des liens forts », souligne en effet Laurent Demany. Il évoque notamment le fait qu'il s'agit, dans les deux cas, de ségréger et regrouper des informations auditives. Mais les aires cérébrales mises en jeu, plurielles, sont relativement différentes. De nombreuses études attestent ainsi d’une relative spécialisation de chacun des hémisphères cérébraux : « le gauche pour le langage, le droit pour la musique », résume le chercheur. Et si cet hémisphère droit n’a pas pour fonction première de faire de l’être humain un mélomane, sa structure se « prête particulièrement bien aux traitements musicaux » appuie-t-il. Les intervenants évoquent ainsi plusieurs expériences rendant compte des facultés humaines à percevoir des harmonies et mélodies à partir d’un ensemble de sons. Mais entre des fondements biologiques et une enculturation à l’œuvre dès le plus jeune âge, l’origine de certaines de ces capacités divise…
« Tous les Occidentaux, musiciens ou non, ont des compétences musicales de perception sur le plan tonal : si l’on chante une mélodie comprenant une fausse note, ou en ôtant la dernière, n’importe qui est capable de trouver cette note-là », illustre Gérald Guillot. Le système tonal ici évoqué est le « langage » majoritairement utilisé dans les musiques occidentales, qui fait partie du paysage sonore dans lequel nous sommes immergés depuis notre tendre enfance. Largement diffusé, via la radio notamment, il a gagné les cinq continents. Mais est-ce seulement de pures conventions qui expliquent que des accords majeurs et mineurs, par exemple, puissent provoquer les mêmes émotions dans le monde entier ? La question est source de débats, certaines études suggérant par exemple que l'octave et la quinte (des intervalles entre deux notes) se retrouveraient dans la plupart des échelles musicales.
Et que dire de l’oreille absolue (ou hauteur absolue), cette faculté rare permettant de mettre le nom d’une note sur un son entendu en dehors de tout contexte ? Son origine est-elle innée ou acquise ? Les deux à la fois ? Des gènes auraient été identifiés, mais, là aussi, les avis divergent. Que l’on se rassure en tout cas si on ne la possède pas : elle n’est en rien un super-pouvoir. Il est plus utile, dans l’apprentissage musical, d’être capable de connaître la hauteur d’une note relativement à une autre. Une compétence qui, elle, s’acquiert avec l’entraînement. Il en va de même pour la virtuosité, trop souvent qualifiée de don. « Les aptitudes sont moins une question de potentiel que de développement par la suite », souligne plus largement Gérald Guillot. Un développement que l’on peut accompagner dès les premiers pas.
« Jouer à la musique » : comme le rapporte le chercheur, c'est l'expression qu'employait Jean-Pierre Mialaret, professeur émérite en sciences de l’éducation musicale à la Sorbonne, lorsqu'il travaillait l’improvisation musicale avec des enfants autistes. Une formulation qui fait écho au « jouer avec la musique » qu’évoque Mathias Sanchez lorsqu’il décrit ses ateliers d’éveil musical. « Les tout-petits sont des explorateurs, ils ont cette appétence, cette envie de jouer au-delà des codes », décrit-il. Codes qu'ils n'ont pas alors encore bien intégrés, et tant mieux ! Si pour des oreilles plus âgées, leurs explorations sonores peuvent être quelque peu déroutantes, il y a là une liberté, un plaisir de jeu. « C’est quelque chose que l’on devrait garder dans les apprentissages traditionnels de la musique. Personnellement, au conservatoire, à un moment donné je n’ai plus eu l’impression de jouer », déplore-t-il. Une réflexion amenant à parler pédagogie musicale et suscitant une vive participation du public. Des premiers sons perçus in utero à ces chansons résistant à l’érosion de la mémoire, la musique se donne à entendre sous un autre jour dans le podcast des Rencards du Savoir.
Par Yoann Frontout, journaliste scientifique et animateur des Rencards du savoir
*Bellier L, Llorens A, Marciano D, Gunduz A, Schalk G, Brunner P, et al. (2023) Music can be reconstructed from human auditory cortex activity using nonlinear decoding models. PLoS Biol 21(8)
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