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Le skipper Fabrice Amedeo a pris le large dimanche pour son troisième Vendée Globe. Comme en 2020, le navigateur français souhaite donner un sens supplémentaire à son tour du monde en menant un projet océanographique pour faire avancer la recherche, toujours en partenariat avec l’université de Bordeaux.

Photo : L'Imoca Nexans Wewise du skipper Fabrice Amedeo participant au Vendée Globe 2024 © Reporters du large
L'Imoca Nexans Wewise du skipper Fabrice Amedeo participant au Vendée Globe 2024 © Reporters du large

« La performance, c’est bien. L’aventure, c’est magique. Mais si en plus en tant que marin, je peux humblement apporter quelque chose à la préservation et à la meilleure connaissance des océans, c’est très important pour moi. » C’est par ces mots que le skipper Fabrice Amedeo a débuté la conférence du 1er octobre dernier sur la pollution anthropique des océans. En effet, celui qui prend le départ du 10e Vendée Globe, ce dimanche 10 novembre aux Sables-d’Olonne à exactement 13h02, embarque sur son voilier différents instruments, dont un capteur de microplastiques en partenariat avec deux laboratoires du campus : l’unité Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC) et l’institut de Chimie et biologie des membranes et des nano-objets (CBMN)*, l’Ifremer et l’IRD*.

Le voilier Nexans Wewise de Fabrice Amedeo au premier plan au village du Vendée Globe où sont présentés au public les 40 bateaux de cette édition © université de Bordeaux
Le voilier Nexans Wewise de Fabrice Amedeo au premier plan au village du Vendée Globe où sont présentés au public les 40 bateaux de cette édition © université de Bordeaux
Le skipper Fabrice Amedeo © Gauthier Lebec
Le skipper Fabrice Amedeo © Gauthier Lebec

Cela fait déjà 5 ans, et quelques courses dont le Vendée Globe 2020, que des scientifiques de ces deux laboratoires sont associés au projet océanographique du skipper français autour des microplastiques. Le capteur, installé sur son IMOCA, un voilier monocoque de 60 pieds, pompe et filtre l’eau de mer en continu sous la quille du bateau entre 1 et 2 mètres de profondeur.

Innovation récente mais pollution omniprésente

Toutes les 24 heures, Fabrice Amedeo, devenu pour l’occasion expérimentateur de ce projet scientifique, change les différents filtres du capteur qui ont trois niveaux de tamis : 300, 100 et 30 micromètres (de la taille d’un cheveu à celle d’un acarien invisible à l’œil nu). Lors du Vendée Globe 2020, qui s’est soldé par un abandon du skipper français en Afrique du Sud suite à une panne informatique, une cinquantaine de ces filtres ont été recueillis durant l’aller et le retour vers la France et ont permis de faire un maillage de l’océan Atlantique. « Réunis au sein d’un consortium, les laboratoires CBMN et EPOC, ainsi que l’Ifremer, se sont partagés les travaux d’identification, de quantification des microplastiques collectés. L’IRD était en charge de la modélisation des résultats pour établir la distribution des microplastiques sur les océans parcourus », explique Sophie Lecomte, chercheuse CNRS et directrice du CBMN impliquée dans le projet. Un travail de très longue haleine a été nécessaire aux chercheurs ces trois dernières années pour développer et valider les protocoles d’analyse et obtenir les résultats, annoncés notamment le 1er octobre dernier. Le contexte est d’ailleurs rappelé par Bénédicte Morin, enseignante-chercheuse de l’université au laboratoire EPOC en écotoxicologie aquatique et chimie analytique.

 

« Le plastique est une innovation récente, c’est dans les années 1950 qu’il est entré dans les objets de la vie quotidienne. C’est le 3e matériau le plus fabriqué au monde après le ciment et l’acier. 5 à 20 millions de tonnes sont déversées chaque année dans les océans dont 80% proviennent des activités terrestres humaines et 20 % des activités maritimes. Dans l’environnement, malgré le fait qu’il se dégrade peu car conçu pour durer, le plastique se dégrade quand même. Il va se fragmenter en petites particules quasi invisibles de 1 micromètre à 5 mm pour les microplastiques. »

Relargage de fibres provenant des machines à laver, usure des pneus, dégradation des bouteilles en plastique ou encore microbilles contenues dans les crèmes cosmétiques… sont autant de sources de plastiques qui vont se retrouver dans les océans, précise-t-elle.

« Cette étude lors du Vendée Globe représentait une opportunité unique de collecter et caractériser dans les eaux océaniques - en surface et au large - les particules anthropiques, dont les microplastiques et les microparticules qui ont une origine naturelle comme la cellulose modifiée par l’homme en fibres textiles. »

Jérôme Cachot, Bénédicte Morin (EPOC) et Sophie Lecomte (CBMN) sur le bateau de Fabrice Amedeo le 30 octobre dernier. © université de Bordeaux
Jérôme Cachot, Bénédicte Morin (EPOC) et Sophie Lecomte (CBMN) sur le bateau de Fabrice Amedeo le 30 octobre dernier. © université de Bordeaux

Contrairement aux campagnes scientifiques classiques qui collectent des microplastiques avec des filets de mailles de 300 micromètres, l’intérêt de cette mission est d’aller vers des microplastiques plus petits, et le challenge analytique était là. Au niveau des résultats, des microplastiques ont malheureusement été retrouvés dans tous les échantillons, donc dans toutes les zones traversées par le skipper. « Nous partions de l’hypothèse que les microplastiques pouvaient se concentrer au niveau des gyres océaniques, des tourbillons formés par un ensemble de courants marins », explique Jérôme Cachot, enseignant-chercheur à l’université au laboratoire EPOC en écotoxicologie aquatique. Il en existe deux dans chacun des océans Atlantique et Pacifique et un dans l’océan Indien. « Fabrice a traversé celui de l’Atlantique sud et nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas plus de microplastiques là qu’ailleurs ». ​​​​

Le technicien Thibault Bailleul de l'équipe de Fabrice Amedeo avec les scientifiques de l'université venus apporter les filtres utilisés par le skipper tout au long de son périple © université de Bordeaux
Le technicien Thibault Bailleul de l'équipe de Fabrice Amedeo avec les scientifiques de l'université venus apporter les filtres utilisés par le skipper tout au long de son périple © université de Bordeaux

Des fibres inattendues en plein océan

Les scientifiques ont donc prouvé l’omniprésence des microplastiques dans l’océan Atlantique. S’ils s’attendaient au fait - confirmé par les résultats - que plus les particules sont petites, plus il y a de microplastiques, ils ne s’attendaient pas par contre à une plus grande diversité de types de plastiques à très petite échelle. Une autre surprise, pour la chimiste Sophie Lecomte, a été la présence de fibres. « Finalement on a eu plus de fibres que de particules dans les échantillons. » Des fibres plastiques mais pas seulement, il y avait également de nombreuses fibres de cellulose. « On ne s’attendait pas en à voir autant au milieu de l’océan, précise Jérôme Cachot. Elles peuvent provenir du textile, du coton notamment, mais on pense qu’il y a d’autres sources importantes de cellulose comme les usines de pâte à papier et les filtres de cigarettes qui sont malheureusement encore jetés un peu partout dans l’environnement et qui se retrouvent à un moment dans l’océan. » Ces premiers résultats soulèvent de nouvelles questions sur la dynamique des plastiques dans l’océan, leur dégradation selon leur type…

 

« Nous n’avons échantillonné que l’océan Atlantique, où nous avons trouvé des choses intéressantes, mais pas encore le Pacifique ou l’océan Indien, des zones pour lesquelles nous n’avons pas ou peu de données » continue Bénédicte Morin. Et c’est là tout l’objectif de ce nouveau Vendée Globe pour l’ancien journaliste devenu marin Fabrice Amedeo : terminer un 2e tour du monde (il avait terminé 11e en 2017). L’aventure océanique et environnementale l’emportant cette fois-ci sur le défi sportif. Ce partenariat permet aux scientifiques de mieux comprendre la présence et le comportement des microplastiques en haute mer, ouvrant la voie à des recherches plus poussées pour répondre aux enjeux de la pollution marine. Les chercheuses et chercheurs bordelais ne manqueront donc pas de scruter la course du skipper ces prochains mois.

*Les deux unités sont sous les tutelles de Bordeaux INP, du CNRS et de l’université de Bordeaux
**Institut de recherche pour le développement

Pour en savoir plus

  • La Web conférence "Révélations sur la pollution anthropique des océansenregistrée le 1er octobre dernier est accessible en ligne. Elle était animée par Fabrice Amedeo avec Bénédicte Morin et Jérôme Cachot (EPOC), Bénédicte Morin (CMBN), avec aussi Enora Prado, docteure de l'université de Bordeaux et chargée de recherche à l'Ifremer (sur la photo ci-dessous) et Christophe Maes (IRD). 
  • Le Rencard du savoir "Attention marin, plastiques à bâbord" enregistré à la Maison écocitoyenne le 3 février 2022 avec Fabrice Amedeo, Jérôme Cachot, Sophie Lecomte et Edgard Dusacre, actuellement en thèse au laboratoire EPOC est à retrouver sur la chaîne soundcloud de l'université et sur toutes les plateformes de streaming habituelles (Deezer, Spotify, Apple podcast...)
  • Suivre la course de Fabrice Amedeo sur son site internet et celui du Vendée Globe

Web conférence du 1er octobre avec Fabrice Amedeo, Enora Prado, Bénédicte Morin, Sophie Lecomte et Jérôme Cachot (de gauche à droite)
Web conférence du 1er octobre avec Fabrice Amedeo, Enora Prado, Bénédicte Morin, Sophie Lecomte et Jérôme Cachot (de gauche à droite)

Contacts

  • Sophie Lecomte

    Directrice de l'institut de chimie et biologie des membranes et nano-objets (CBMN)

    sophie.lecomte%40u-bordeaux.fr

  • Bénédicte Morin

    Enseignante-chercheuse au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC)

    benedicte.morin%40u-bordeaux.fr

  • Jérôme Cachot

    Enseignant-chercheur au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC)

    jerome.cachot%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr