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La surveillance, déjà gagnante des Jeux de Paris 2024 ?

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Dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, de nouveaux dispositifs de surveillance font leur apparition. Vidéo-surveillance algorithmique, scanners corporels, QR Codes : quels sont les risques d'atteintes aux droits et libertés fondamentales ? Éléments de réponse avec la conférence organisée par l’Observatoire de la surveillance en démocratie (OSD) qui s’est tenue le 10 juin dernier à Cap Sciences.

Photo : Une caméra de vidéosurveillance à proximité du palais de justice de Nice, ville la plus équipée de France avec plus de 4000 de ces appareils en service. © Pictarena / Adobe Stock
Une caméra de vidéosurveillance à proximité du palais de justice de Nice, ville la plus équipée de France avec plus de 4000 de ces appareils en service. © Pictarena / Adobe Stock

Paris sera la ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques d’été 2024. 15 millions de visiteurs, plus de 30 000 journalistes et 44 500 volontaires seront présents pour accueillir les 15 000 athlètes qui s’affronteront du 26 juillet au 8 septembre. Un événement à l’ampleur inédite dont la réussite repose notamment sur sa sécurité. A cette fin, la loi adoptée par l’Assemblée nationale le 19 mai 2023 autorise, jusqu’au 31 mars 2025, le traitement algorithmique des images de vidéosurveillance. Un plan de sécurité depuis dévoilé par le ministre de l’Intérieur évoque le retour du QR Code aux alentours des sites de compétition ainsi que la possible utilisation de scanners corporels afin de sécuriser l’accès aux enceintes sportives.

Le 10 juin dernier, le juriste Robin Medard Inghilterra, le conseiller technique du directeur de la police municipale de Bordeaux Yoann Bastiancig et le chercheur en informatique Claude Kirchner ont répondu présent à l’invitation de l’Observatoire de la surveillance en démocratie (OSD) de venir à Cap Sciences pour une table ronde avec deux de ses membres à l’animation, Elia Verdon et Yoann Nabat*. Créé en 2023, et soutenu par l’université de Bordeaux, ce collectif de chercheurs et d’experts pluridisciplinaire propose, à l’occasion de la conférence « La surveillance, déjà gagnante des Jeux de Paris 2024 ? », de dresser un état des lieux des techniques de surveillance déployées en France.

Un arsenal technologique déjà en place

L’échange s’ouvre avec une rétrospective de l’apparition progressive des caméras de vidéosurveillance dans l’espace public, ainsi que de ses centres de supervision urbains (CSU). « En plus de ce maillage territorial, nous avons vu émerger plus récemment de nouveaux appareils tels que des drones équipés de caméras. Leurs usages correspondent à diverses finalités : veiller au respect des mesures de distanciation, surveiller les frontières ou encore les manifestations. Dernièrement, c’est la vidéosurveillance automatisée (VSA), qui consiste en l’ajout d’une couche logicielle aux caméras, qui apparaît et permet d’automatiser l’analyse des images collectées » indique le maître de conférences en droit public, Robin Medard Inghilterra.

Yoann Bastiancig, conseiller technique à la Direction de la police municipale et de la tranquillité publique (DPMTP) de la mairie de Bordeaux, rebondit avec une perspective plus locale. « Aujourd’hui, nous avons 188 caméras en fonctionnement, ce qui correspond à un usage relativement modéré de ce que nous préférons appeler la vidéoprotection. Le déploiement de nouveaux appareils est décidé depuis le CSU. Une fois en service, le pilotage est assuré par des opérateurs assermentés avec agrément du procureur et du préfet. » Les caméras en place pourraient-elles accueillir ce nouveau traitement algorithmique ? « Techniquement, c’est un simple paramètre à activer. Cependant, plusieurs étapes sont préalables à son activation, comme l’autorisation du comité d’éthique vidéoprotection de la ville de Bordeaux avec qui nous travaillons main dans la main. Je tiens à préciser que ce n’est absolument pas à l’ordre du jour. »

Liberté et sécurité, un conflit d’intérêts ?

Claude Kirchner, directeur de recherche émérite Inria et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), apporte quant à lui un éclairage sur la finalité de cette vidéosurveillance algorithmique (VSA), appelée aussi vidéosurveillance automatisée. « Elle ne permet pas, dans le cadre défini par la loi, d’authentifier ou d’identifier des personnes sur la voie publique, mais de caractériser des situations comme étant à risque. L’algorithme, grâce à l’entraînement qu’il aura reçu, est censé pouvoir établir si la scène observée correspond à une occurrence définie comme anormale et, dès lors, déclencher une alerte. Cette tâche peut sembler évidente sur des événements tels qu’un départ de feu ou encore l’oubli d’un colis. En revanche, des questions d’ordre éthique se posent dans d’autres cas de figure. » Un défi que Robin Médard Inghilterra complète du point de vue juridique. « Le déploiement de ces techniques de surveillance dans l’espace public, dont l’efficacité repose essentiellement sur leur effet dissuasif, vient entraver certains de nos droits fondamentaux. Leur présence constitue un sérieux amenuisement du droit au respect de la vie privée dans l’espace public et ouvre la possibilité d’une atteinte à la liberté de rassemblement, de réunion, de manifestation ou encore de circulation. Enfin, de nombreuses interrogations subsistent, notamment sur l’accès aux données à caractère personnel ainsi que sur leur anonymisation. » Des enjeux que des organismes comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) tentent d’articuler. « Son rôle est essentiel. Avec l’apparition successive de tous ces éléments à superviser, ce n’est pas simple. Elle parvient pourtant à tenir son rôle d’autorité administrative indépendante et de se saisir au mieux de ce dilemme entre liberté et sécurité » soutient Claude Kirchner, aussi directeur du Comité national pilote d’éthique du numérique.

« À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels ». Tels sont les mots utilisés par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin devant l’Assemblée au moment du vote de l’autorisation ces nouveaux outils censés garantir la sécurité des Jeux olympiques. « Depuis fin mars 2024, nous sommes déjà au niveau sécurité maximum avec un plan Vigipirate urgence attentat » tempère Yoann Bastiancig. « Aujourd’hui, un agent décide, avec son discernement, de contrôler ou non une situation. Déléguer cette action à un algorithme m’interroge, car cela revient à contrôler tout le monde tout le temps. De plus, ma vision de terrain me fait dire que plus il y a de machines, moins il y a de l’humain. Certes ces appareils peuvent être redoutables, pour autant est-ce proportionné ? » enchaîne-t-il.

Comment évaluer l’efficacité de ces dispositifs ? « Il y a deux niveaux d’analyse. Le premier porte des interrogations sur des enjeux d’ordre technique. Le matériel et les logiciels développés sont-ils correctement établis ? Le protocole initialement prévu a-t-il été respecté ? Si oui, les résultats obtenus correspondent-ils aux résultats escomptés ? Le deuxième niveau, quant à lui, est juridique. Chacun d’eux requiert des moyens et des compétences spécifiques afin de déterminer si ces essais sont satisfaisants, ou non, et ainsi résoudre ce dilemme » explique Claude Kirchner.

La table ronde du 10 juin dernier à Cap Sciences avec, de gauche à droite : Yoann Bastiancig, les modérateurs Elia Verdon et Yoann Nabat, Claude Kirchner et Robin Médard Inghilterra © DR
La table ronde du 10 juin dernier à Cap Sciences avec, de gauche à droite : Yoann Bastiancig, les modérateurs Elia Verdon et Yoann Nabat, Claude Kirchner et Robin Médard Inghilterra © DR

Une expérimentation pas si temporaire ?

Un déploiement pouvant paraître prématuré au vu des interrogations et inquiétudes autour des enjeux techniques mais aussi du cadre légal dans lequel s’inscrit l’usage de ces appareils. « Avec le temps, nous nous habituons à la présence de dispositifs de surveillance intrusifs : la CNIL dénonce un risque d’accoutumance » précise le spécialiste en droit public. Avant d’ajouter, « ces organismes garants de nos droits et libertés fondamentales ont une marge de manœuvre limitée face à des industriels pressés de déployer leurs dernières innovations. L’affaire Briefcam révélée l’an dernier par le site web d’investigation Disclose est un bon exemple. L’entreprise, qui équipe les polices municipales d’une centaine de municipalités, met à leur disposition un logiciel de VSA incluant une fonctionnalité de reconnaissance faciale en dehors de tout cadre légal, et sans même que la CNIL n’en soit tenue informée. Cette situation fait écho à celle des drones équipés de caméras. D’abord utilisés sans aucune base légale pour veiller au respect des mesures de confinement, ce qui avait notamment donné lieu à un arrêt du Conseil d’État à l’époque, ils ont finalement été autorisés deux ans plus tard par une loi qui conditionne leur usage à une simple autorisation par arrêté préfectoral. » Un rétropédalage sur l’utilisation de ces outils de surveillance serait-il donc possible après les Jeux ? « Cet événement semble constituer un laboratoire. Ces dix dernières années, un glissement s’opère via l’utilisation de régimes d’exception, notamment avec une finalité antiterroriste : dès que cet objectif est avancé, l’acceptabilité sociale augmente de manière significative. Les finalités sont ensuite élargies à la sécurité commune. Le risque est lié au fait que la sécurité fait des bonds en avant, mais qu’elle tolère mal les marches arrière » conclut Robin Medard Inghilterra.

En savoir plus sur l’Observatoire de la surveillance en démocratie

L’Observatoire de la surveillance en démocratie (OSD) est un collectif de chercheurs et d’experts de différentes disciplines, créé en 2023 et soutenu par l’université de (dans le cadre des projets de Recherche interdisciplinaire et exploratoire - RIE).
Inauguré en mars dernier, il est né il y a plus d’un an à l’initiative d’une collaboration entre trois départements de recherche de l’université : Droit et transformations sociales (DETS), Sciences de l’ingénieur et du numérique (SIN) et Santé publique.
A la rencontre de différentes disciplines scientifiques, telles que le droit, l’informatique, les sciences de l’information et de la communication, la sociologie, l’histoire, l’économie et la science politique, l’OSD est porteur d’une recherche et d’une expertise multidisciplinaires sur les phénomènes de surveillance en démocratie. L’OSD vise, notamment, à dresser un état des lieux des techniques mises en œuvre par les acteurs privés et publics dont le but – ou dont l’effet – est la surveillance d’une partie ou de la totalité de la population.
L’OSD ambitionne de construire une réelle recherche critique sur les enjeux de surveillance, tant numériques que physiques ou humains. Il porte une pensée et des suggestions, multidisciplinaires et innovantes en matière de surveillance.

Contacts

  • *Elia Verdon

    Doctorante en droit public au Centre d’études et de recherches comparatives sur les constitutions, les libertés et l’État (CERCCLE) et au Laboratoire bordelais de recherche en informatique (LABRI)

    elia.verdon%40u-bordeaux.fr

  • *Yoann Nabat

    Enseignant-chercheur à l'université de Bordeaux, rattaché à l'Institut de sciences criminelles et de la justice (ISCJ)

    yoann.nabat%40u-bordeaux.fr

  • Théophile Massat

    Stagiaire éditorial scientifique
    Direction de la communication

    theophile.massat%40u-bordeaux.fr