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Mise à jour le : 12/11/2024
Les nouvelles avancées du numérique doivent apporter une précision et une qualité accrues à certaines opérations chirurgicales. C’est la conviction du professeur Jean-Christophe Bernhard, qui développe et applique ces nouvelles technologies dans le cadre d’un programme de recherche d’innovation consacré au cancer du rein : le programme I.CaRe Bordeaux.
Une néphrectomie avec thrombectomie cave assistée par robotique et guidée par réalité augmentée, retransmise en direct depuis le CHU jusqu’au palais des Congrès de Bordeaux, devant un parterre de 1000 chirurgiens venus d’Europe et au-delà. C’est la première mondiale réalisée le 13 septembre dernier par Jean-Christophe Bernhard, professeur à l’université et praticien hospitalier, assisté du docteur Gaëlle Margue et de son équipe du service d’urologie du CHU de Bordeaux. Ce congrès européen d’urologie robotique (ERUS), co-organisé par les équipes du CHU de Bordeaux et de la clinique Saint-Augustin, et qui s'est tenu à Bordeaux du 11 au 13 septembre, n’était d’ailleurs pas avare en premières chirurgicales cette année*.
Mais revenons à l’intervention. La néphrectomie consiste à retirer tout ou partie du rein, organe de prédilection de Jean-Christophe Bernhard qui s’est spécialisé en cancérologie urologique depuis son arrivée à Bordeaux en 2008. Dans ce cas précis, une tumeur s’est développée dans le rein, mais pas seulement, elle a aussi commencé à envahir le système vasculaire. Elle s’est propagée à la veine rénale, d’où sort le sang purifié, jusqu’à la veine cave, chargée elle de l’amener jusqu’au cœur.
Dans les vaisseaux, l’extension de la tumeur est appelée thrombus tumoral. Pour cette opération assez rare et délicate, le professeur a choisi de faire appel à la réalité augmentée. Une technologie qu’il développe, en partenariat avec SurgAR et Fujifilm au sein du programme de recherche hospitalo-universitaire (RHU) Digital Urology 3D, lancé en 2022 dans le cadre de France 2030. Pour expliquer l’aide apportée par cette technologie, Jean-Christophe Bernhard fait appel à une analogie - routière - des techniques à disposition des chirurgiens. « Le scanner, c’est la carte routière » commence-t-il. Elle permet de se diriger mais c’est au conducteur-chirurgien de tracer sa route en amont. Et le scanner 4T fournit 4 fois 450 images qu’il faut interpréter et reconstruire mentalement en 3D pour se retrouver à travers les organes du patient. Cela en fait des cartes routières à étudier ! C’est pour cela que depuis 2014, l’équipe développe et utilise un « GPS » : la réalité virtuelle avec des modèles en 3D des reins des patients. Des modèles en 3D numériques présents sur les écrans du robot qui assistent l’équipe d’urologie de façon systématique désormais en salle d’opération. Mais également des modèles imprimés en 3D pour permettre aux patients de mieux appréhender leur opération ou aux chirurgiens de s’entraîner (cf. la vidéo de la Fondation Bordeaux Université en bas de page).
Enfin, la réalité augmentée, ce sont les informations du GPS, directement intégrées en surbrillance dans le pare-brise du conducteur, le guidant et lui donnant toutes les informations sur le chemin à suivre en temps réel. L’intérêt lors de cette opération, explique le chirurgien, est notamment de repérer très précisément le thrombus tumoral dans la veine cave car il est invisible avant d’ouvrir le vaisseau. En apposant l’image de ce jumeau numérique durant l’opération, on évite de clamper (obturer le vaisseau) plus loin que nécessaire mais suffisamment pour ne pas laisser de cellules tumorales.
De manière générale, le rein étant un organe très vascularisé, il faut aussi pouvoir repérer toutes ses afférences lors d’une opération chirurgicale. « Là c’est un peu comme si vous faisiez des travaux de plomberie dans une maison, il faut être en mesure de couper toutes les arrivées d’eau » explique de manière très didactique le professeur Bernhard. « Nous avons la conviction que la chirurgie de demain sera améliorée avec cette technologie. Mais il faut qu’elle soit fiable, automatique et efficace. C’est tout l’enjeu de ce que nous développons avec nos partenaires dans le cadre du RHU. »
Comment ? Immersion en salle d’opération avec l’équipe chirurgicale et les ingénieurs de SurgAR chargés du développement. Ce jour-là, un patient avec une dizaine de tumeurs rénales. La personne se trouve au milieu de la salle. Au-dessus d’elle un robot araignée que manipule, à quelques mètres de là, via une console avec des joysticks mobiles dans toutes les directions le chirurgien - de façon quasi hypnotique pour un profane.
Jean-Christophe Bernhard a devant ses yeux le direct grâce à la caméra endoscopique mais aussi le rein en 3D et la réalité augmentée qu’il appose quand il le souhaite sur son écran. Les ingénieurs notent alors toutes les améliorations à apporter, ici les quelques millisecondes de décalage entre les mouvements du chirurgien et la réalité virtuelle à corriger, là la position des différents écrans qu’il a à disposition. Une tumeur, enchevêtrée dans le rein, ne semble pas apparaître telle quelle sur les outils en numérique. A-t-elle grossi entre le scanner et l’opération ? Retour aux images de coupe du scan pour le comprendre. Demain la réalité virtuelle pourrait-elle gérer et anticiper ce genre de cas ? Le professeur Bernhard l’espère. Pour cela, un logiciel de réalité augmentée et un algorithme sont développés, précise-t-il. Il y a un travail de deep learning (apprentissage profond) avec l’entraînement d’un réseau de neurones artificiels à partir de centaines de vidéos chirurgicales. Le logiciel doit, en effet, être en mesure de reconnaître, en temps réel, les organes et structures anatomiques les entourant, et de suivre en direct les mouvements du rein (tracking) au contact des instruments chirurgicaux.
Pour la prise en charge des tumeurs du rein, il faut, pour chaque patient, trouver le meilleur compromis entre le fait de retirer toutes les cellules cancéreuses et la conservation de la fonction rénale pour améliorer les conditions de vie du patient, éviter les dialyses mais aussi des complications vasculaires (infarctus, AVC…) favorisées par l’insuffisance rénale résultant de l’ablation des reins. « C’est une chirurgie qui doit être très anatomique pour conserver au mieux l’organe. Il faut trouver l’équilibre entre traiter le cancer et préserver le rein. » Il explique à nouveau avoir la conviction « que la poursuite des progrès et bénéfices cliniques liés à l’assistance robotique – qui a déjà fait évoluer le geste chirurgical et a transformé le postopératoire des patients – passera par les innovations satellites qui vont nous permettre d’améliorer la qualité des résultats, la qualité de l’acte chirurgical ». À l’image du bénéfice déjà apporté par la réalité virtuelle avec les modèles en 3D, il espère améliorer le geste du chirurgien mais pas seulement. Toutes ces avancées bénéficient aussi à l’entraînement chirurgical, cette opération n’étant pas si fréquente, et aussi de façon plus surprenante, à l’expérience patient.
« La technologie peut être un nouvel objet de médiation entre le chirurgien et le patient. Il y a un intérêt en matière d’éducation du patient ». Les études montrent que ce dernier ne comprend pas toujours les tenants et aboutissants de l’opération qu’il va subir. Grâce à un modèle 3D imprimé, et demain à un jumeau numérique, il peut mieux appréhender l’opération, ses enjeux. « C’est important que le patient soit moins anxieux, qu’il adhère au protocole et soit acteur de sa convalescence, qu’il ait compris les risques postopératoires au point de pouvoir détecter lui-même d'éventuelles complications et alerter en retour l’équipe chirurgicale. » Ces technologies immersives et intelligentes peuvent aussi être appliquées à d’autres chirurgies (foie, utérus…). Vont-elles inaugurer un nouveau chapitre de l'histoire de la chirurgie ? Jean-Christophe Bernard en est aussi convaincu, même s’il admet que l'évolution de cette pratique, à l'image de l'histoire, demande du temps.
*Deux patients ont été opérés en Chine par des chirurgiens depuis Bordeaux
Le projet Digital Urology 3D, lancé au CHU de Bordeaux avec l’université de Bordeaux, vise à transformer la prise en charge du cancer du rein grâce à des technologies avancées. Doté de 6,1 millions d'euros de l'Agence nationale de la recherche (ANR), ce projet coordonné par le professeur Jean-Christophe Bernhard inclut des partenaires académiques (CHU de Grenoble, CNRS, IUT de Bordeaux) et industriels (Fujifilm France, SurgAr, Rescoll, Sophia Genetics). Sur cinq ans, il allie imagerie médicale, intelligence artificielle et réalité virtuelle pour améliorer les procédures chirurgicales, l’expérience patient et la formation des chirurgiens. Il s’inscrit plus largement dans le programme Innovation Cancer du Rein appelé I.CaRe. L’équipe bénéficie également d’un accompagnement de la Fondation Bordeaux Université avec le fonds Recherche et innovation en chirurgie rénale.