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Kintsugi, un souffle de recherche nouveau pour Isabelle Dupin

Mise à jour le :

La professeure en physiologie de l’université explore les mécanismes qui permettent au poumon de s'adapter et de se réparer face aux agressions de la pollution. Grâce à une bourse européenne ERC Consolidator Grant, son projet "Kintsugi" ambitionne d’allier biologie, philosophie et modélisation pour déchiffrer ce processus fascinant.

Photo : Isabelle Dupin, professeure en physiologie au centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux © Gautier Dufau
Isabelle Dupin, professeure en physiologie au centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux © Gautier Dufau

Kintsugi. Qu’ont en commun un art ancestral japonais de la céramique et un projet européen de recherche en biologie ? Le Kintsugi consiste à restaurer, voire embellir, des objets cassés à l’aide de poudre d’or. Il est devenu une métaphore de la notion de résilience. Un concept que la professeure en physiologie du Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux (CRCTB)1, Isabelle Dupin souhaite transposer à la physiologie pulmonaire. Assemblons ici les morceaux un par un de ce projet innovant.
Tout commence par différents constats qui interrogent la scientifique. Premièrement, la pollution de l’air ne cesse de s’aggraver. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré en 2019 que cette pollution constituait le plus grand risque environnemental pour la santé, précise-t-elle. « Les particules fines en constituent une part importante et les poumons sont les principaux organes affectés ». Elle se rappelle particulièrement des résidus de fumée issues des incendies qui ont ravagé le sud Gironde et qui ont atteint la métropole bordelaise à l’été 2022. Incendies, mais aussi pollution industrielle, automobile, due au chauffage et à la cuisine au bois, de façon plus importante dans les pays du Sud.  « La pollution particulaire est plus ou moins en lien avec le changement climatique, phénomène qui m’interpelle et m’inquiète de façon générale. D’autant plus qu’il existe des inégalités sociales face à l’exposition à cette pollution » souligne-t-elle.

Un acteur clé de la résilience pulmonaire

Deuxièmement, « certains vont fumer toute leur vie sans subir d’effets graves sur leurs poumons, c’est complètement fou ! s’étonne-t-elle. Le poumon a clairement des mécanismes de résilience ou d’adaptation, quel que soit le mot utilisé, qui sont étonnantes ». L’enseignante-chercheuse explique alors, tableau à l’appui. « Nous effectuons en moyenne 15 cycles respiratoires par minute et à chaque inspiration, nous inhalons environ 1,5 litre d’air. »

 

Des mécanismes permettent d’éliminer des particules inspirées dans nos poumons. Lesquels ? La trachée se subdivise en bronches et bronchioles, qui sont tapissées de glandes dites sous-muqueuses, enchaîne-t-elle. « Ces glandes produisent du mucus qui piège les particules, l’ensemble étant ensuite évacué grâce au mouvement des cellules ciliées.
Il a été montré récemment que ces glandes sous-muqueuses sont associées à un réservoir riche de cellules immunitaires et qu’elles contiennent des cellules souches capables de régénérer les voies respiratoires ». L’hypothèse de la chercheuse est que « cet environnement des glandes sous-muqueuses est un acteur clé de la résilience pulmonaire face à la pollution particulaire ». Voilà donc tout l’enjeu du projet Kintsugi2 financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) à hauteur de 2 millions d’euros.

  • L’inspirant succès européen de deux chercheurs bordelais

Une approche interdisciplinaire : biologie, philosophie, modélisation

Pour comprendre ce mécanisme, la chercheuse va combiner des approches à la fois ex vivo, in vitro et in silico durant les cinq prochaines années avec une équipe financée par l’ERC (un assistant ingénieur, deux doctorants et un postdoc). Son laboratoire étant situé sur le site de l’hôpital Xavier Arnozan, à Pessac, du CHU de Bordeaux, la chercheuse bénéficie d’un lien étroit avec les équipes cliniciennes. Elle va pouvoir utiliser des échantillons bronchiques de patients, notamment suivis dans le cadre d’études cliniques, pour étudier la résilience humaine. C’est la partie ex vivo. Chez les petits modèles animaux, la production de mucus étant faible, elle développe également des modèles tridimensionnels (organoïdes) permettant d’étudier l’effet direct des polluants sur les cellules respiratoires. Elle s’appuie pour cela sur des travaux qu’elle mène sur des organoïdes pulmonaires tubulaires.
Et enfin toutes ces données cliniques et expérimentales seront intégrées dans un modèle mathématique, in silico, pour comprendre la résilience à différentes échelles temporelles et spatiales. Concernant ce terme qui peut être à notre époque un peu galvaudé, elle a bénéficié de l’appui d’un philosophe des sciences durant la rédaction de son projet. Cette collaboration avec Maël Lemoine, professeur à l’université au sein du laboratoire Immunoconcept2, lui a permis d’approfondir la notion de résilience, en posant des questions fondamentales : « En quoi et à quoi le poumon est-il résilient ? Par rapport à quoi ? » S’appuyer sur différentes disciplines est une des forces d’Isabelle Dupin pour qui l’interdisciplinarité est le « fil rouge » de sa carrière. « L’alliance de l’expertise que j’ai acquise auparavant couplée aux recherches que je conduis aujourd’hui m’ont menée jusqu’à cette bourse ERC. »

Du cœur de la cellule à la santé publique

Son envie de faire de la recherche s'est dessinée tôt, influencée par un « super prof de bio » au lycée qui a su éveiller sa curiosité pour les sciences de la vie, et par un père chercheur en mathématiques. Après l’École normale supérieure, elle commence une thèse à l’Institut Pasteur sur les mécanismes de régulation de la polarité des cellules. Puis elle arrive à Bordeaux fin 2010, pour un post-doc à l’Institut interdisciplinaire de neurosciences de Bordeaux (IINS) 2 sur le développement neuronal où elle s’initie à des techniques biophysiques de microfluidique, de manipulation des fluides à l'échelle micrométrique. « Je pensais rester sur des sujets de recherche fondamentale en biologie cellulaire mais une opportunité s’est ouverte au CRCTB et j’ai tenté ma chance ».

L'enseignante-chercheuse va s'appuyer pour son projet ERC sur des travaux qu’elle mène sur des organoïdes pulmonaires tubulaires © Gautier Dufau
L'enseignante-chercheuse va s'appuyer pour son projet ERC sur des travaux qu’elle mène sur des organoïdes pulmonaires tubulaires © Gautier Dufau

Elle débute, en 2013, comme d’assistante hospitalo-universitaire avant de devenir 2 ans après enseignante-chercheuse. « J’ai mis un pied à l’hôpital, et j’ai découvert un univers fascinant, où les scientifiques peuvent avoir une place » se souvient-elle avec enthousiasme. Dans ce laboratoire qui étudie le cœur et le poumon, elle découvre de nouvelles spécialités, enseigne en médecine en physiologie pulmonaire et commence à développer des modèles de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), 3e cause de mortalité dans le monde dû en majorité au tabac. « J’ai mis un peu de temps à m’approprier la thématique puis je suis devenue plus autonome et j’ai pu commencer à développer des modèles 3D d’organoïdes. »
L’objectif ultime du projet Kintsugi est de mieux comprendre la résilience pulmonaire et, à terme, identifier des biomarqueurs pour détecter les patients peu ou pas résilients et ainsi mieux anticiper les risques de maladies pulmonaires telles que la BPCO, le cancer du poumon ou l’asthme. Des études suggèrent que les poumons d’Homo sapiens auraient évolué au fil du temps pour supporter l’exposition à des particules toxiques, comme cela a pu être le cas lors de la domestication du feu. « Le projet pourrait aussi aider à comprendre les stratégies évolutives de cet organe pour faire face aux défis environnementaux et aider à les anticiper » conclut-elle. Ces recherches ambitieuses laisseront peut-être à Isabelle Dupin un peu de temps pour s’adonner à l’art du véritable Kintsugi, bien que ses premiers essais n’aient pas été aussi réussis qu’elle l’espérait, confie-t-elle avec humour. Elle a cinq ans pour s’exercer !

1unité de recherche Inserm et université de Bordeaux
2Kintsugi - Unveiling lung resilience mechanisms: a ground-breaking way to cope with air pollution
3unité de recherche CNRS et université de Bordeaux

Contacts

  • Isabelle Dupin

    Professeure en physiologie
    Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux

    isabelle.dupin%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr