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Mise à jour le : 31/05/2024
Alexandre Zabalza est juriste, Delphine Coursault physicienne, tous deux sont enseignants-chercheurs au sein de l’université de Bordeaux, impliqués dans le chantier d’intégration des enjeux de transitions dans la formation des étudiants. Une intégration potentiellement complexe dans laquelle ils espèrent «embarquer» un maximum de collègues.
Les enseignants-chercheurs Delphine Coursault et Alexandre Zalbalza travaillent depuis plus d’un an sur le chantier d’intégration des enjeux de transitions environnementales et sociétales dans la formation des étudiants de l’université de Bordeaux. Pour remonter à la source de ce travail, on évoquera le rapport Jouzel, remis le 16 février 2022 au ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui a conduit ce dernier à adopter une note de cadrage et des préconisations en vue de « former à la transition écologique pour un développement soutenable les étudiants de premier cycle ». Le ministère y prévoit un enseignement commun et obligatoire pour tous les étudiants de premier cycle d’au moins 30h de cours, valorisé par 3 ECTS minimum, laissant à chaque établissement la liberté de l’organiser à sa façon. L’université de Bordeaux planche, depuis, sur un socle commun transdisciplinaire (module 1) qui serait complété par un module quant à lui disciplinaire (module 2), permettant aux étudiants d’« appréhender les équilibres et les limites de notre monde par une approche systémique, éthique, réflexive et critique ».
Interrogés sur la racine de leur intérêt pour les «transitions», les deux enseignants-chercheurs n’ont pas besoin de fouiller très longtemps dans leurs souvenirs. Delphine Coursault a évolué dans un milieu très peu féminin, celui de la physique. Elle a mené sa thèse sous la direction d’une femme mais a observé, autour d’elle, des jeunes chercheuses pour qui le parcours était plus compliqué, les interactions avec leur directeur de recherche teintées de paternalisme, les relations avec leurs pairs trahissant un certain sexisme. Elle s’est naturellement intéressée à ces questions, soucieuse du bien-être d’autrui d’une manière générale, engagée dans son université d’origine sur le terrain social. Elle a fait, dès que possible, du mentorat auprès de doctorantes et a toujours cherché, lors de divers événements scolaires, universitaires ou grand public, à attiser l’intérêt des jeunes filles et jeunes femmes pour la science.
Alexandre Zabalza rebondit sur les propos de sa collègue en expliquant qu’il a toujours considéré la finalité de sa discipline, le droit, comme étant « la protection des plus faibles ». Il rappelle que « le droit est né, en Occident, pour défendre l’ordre de la cité et les valeurs citoyennes », desquelles les femmes étaient initialement exclues, « invisibilisées », de même que les enfants. Aujourd’hui, c’est l’environnement qui se voit progressivement intégré dans le périmètre juridique – « certains auteurs font d’ailleurs une corrélation entre le statut des femmes dans l’Histoire et celui de la Nature, dont on use et abuse sans la protéger voire lui reconnaître de droits. » À l’époque de sa thèse, il y a plus de 25 ans, ce philosophe du droit s’est penché de façon avant-gardiste sur les rapports de l’Homme à la Terre, une thématique qui est restée la toile de fond de ses pensées et de ses recherches, jusqu’à le mener à diriger un diplôme universitaire de Droit de l’environnement où il décortique en particulier la notion de « biens communs » et la personnalité juridique que certains voudraient leur reconnaître.
Au sein de ce chantier de l’intégration des transitions dans la formation, Delphine et Alexandre travaillent en particulier sur le volet disciplinaire qui viendra prolonger, approfondir le socle commun. « Il faut faire preuve d’humilité, souligne Alexandre, on va y arriver, mais ça va prendre du temps. En droit, on pourrait faire une analogie avec la problématique européenne : il y a un peu plus de cinquante ans, on découvrait l’Europe. Aujourd’hui, le droit européen est intégré, distillé dans quasiment tous les cours, naturellement. La conscience du vivant va faire de même. » Il en est convaincu, « les questions liées au climat, à la biodiversité, aux pollutions conditionnent nos libertés fondamentales. » Utilisant une métaphore de surfeur, il explique qu’il est vain, en 2024, d’aller contre le courant et qu’il faut « prendre la vague ». Il rappelle que « l’écologie est une science avant d’être un courant politique ; les notions de décroissance, d’anthropocène ne doivent pas être traitées comme des “gros mots”, des termes subversifs, mais de manière scientifique. Moi-même je travaille sur les « communs » en droit sans pour autant être communiste ! »
Delphine et Alexandre espèrent être des « facilitateurs » dans ce chantier qui leur tient à cœur, se rendre utiles pour faire le lien entre, d’une part, le Conseil scientifique et des usagers qui travaille activement sur le sujet et, d’autre part, les collègues de leurs Collèges respectifs – Sciences et technologies (ST) pour Delphine, Droit, science politique, économie et gestion (DSPEG) pour Alexandre. Ils conçoivent que l’intégration des transitions dans les enseignements se fera à géométrie variable, certaines matières s’y prêtant bien plus facilement que d’autres, et dans le respect du cadre fixé par chacune des composantes de formation. Leurs collègues enseignantes et enseignants ont tous reçu, au mois d'avril, une enquête qui va permettre d’établir la cartographie précise des enseignements déjà dispensés au sein de l’université de Bordeaux sur ces thématiques, et des volontaires souhaitant s’y investir particulièrement.
« Chaque discipline possède ses spécificités pédagogiques et ses contraintes, rappelle Delphine, certaines habituées aux petits groupes de travail, d’autres plus propices aux grands amphithéâtres rassemblant des centaines d’étudiants. Les problématiques ne sont donc pas les mêmes, au sein de chaque Collège de formation, pour imaginer une pédagogie interactive, d’autant que cette intégration doit se faire à coûts constants. Et puis ce chantier n’est pas le seul qu’on doive mener actuellement, tous les enseignants-chercheurs sont très pris, avec des charges administratives de plus en plus lourdes… »
Autre interrogation, majeure, enthousiasmante, pour ces enseignants-chercheurs au contact des étudiantes et des étudiants : comment ces nouveaux enseignements seront-ils accueillis ? « Les jeunes d’aujourd’hui sont nés avec ces questionnements, beaucoup ont déjà été sensibilisés au lycée - près d’un tiers d’entre eux ont déjà participé à la Fresque du climat – et certains abordent déjà largement les transitions dans leurs études, mais souvent par un prisme disciplinaire bien précis – celui de l’énergie, ou de la biodiversité -, à nous maintenant de leur en proposer une vision plus systémique. » Alexandre est témoin de leur motivation au sein des projets tutorés qu’il mène régulièrement, projets profondément interdisciplinaires qui tiennent lieu d’« incubateurs » où les juristes rencontrent des écologues, des économistes, des chimistes ou des physiciens, heureux de réfléchir ensemble aux logiques du préjudice écologique, des procès climatiques ou des différents usages collectifs de la Nature.
La conversation pourrait se prolonger pendant des heures avec ces deux enseignants-chercheurs visiblement passionnés par le sujet des transitions environnementales et sociétales. Parce qu’il faut tout de même y mettre un terme, Alexandre invite celles et ceux qui le souhaitent à se pencher sur le concept de « coviabilité » porté par un de ses confrères, Olivier Barrière, et qu’il utilise régulièrement dans son enseignement. Delphine approuve, elle qui est parfois confrontée à des jeunes invoquant le « darwinisme » pour justifier une sorte de fatalisme face aux changement environnemental. Pour parler à ces étudiants, les former du mieux possible à ces enjeux, elle est convaincue que « la construction collective, interdisciplinaire, ancrée dans le territoire local » va porter ses fruits. « La formation de tous les étudiants de licence va mobiliser de nombreux enseignants, pas seulement des spécialistes. Personne ne doit se sentir oublié ou illégitime dans ce chantier. »
L’écologie est une science avant d’être un courant politique ; les notions de décroissance, d’anthropocène ne doivent pas être traitées comme des «gros mots», des termes subversifs, mais de manière scientifique. Moi-même je travaille sur les «communs» en droit sans pour autant être communiste !