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Mise à jour le : 11/02/2024
Des vélos aux voitures (partagées), en passant par les trottinettes, le tram et la marche à pied, l'urbaniste Malvina Orozco essaie de faciliter - et de décarboner - les déplacements de tous les personnels et étudiants de l'université.
Les étudiantes et les étudiants seraient-ils de drôles d’oiseaux insaisissables ? C’est l’impression qu’on retire d’une conversation avec Malvina Orozco, urbaniste enjouée en charge des questions de mobilité à l’université de Bordeaux. « Malgré tous les efforts qu’on peut déployer, toutes les enquêtes qu’on peut mener, on ne sait jamais précisément qui ils sont, où ils vont ; ils sont tellement volatiles et différents des actifs ! », résume la jeune trentenaire, qui se souvient de ses propres incertitudes lorsqu’elle était étudiante : « On arrive dans une ville sans savoir pour combien de temps, sans pouvoir anticiper si notre stage, notre année en Erasmus, notre futur Master ne va pas nous emmener ailleurs dans quelques mois seulement. Difficile, dans ces circonstances, de s’intéresser vraiment à un territoire et de développer un sentiment d’appartenance. »
Son attachement personnel à Bordeaux, elle ne l’a elle-même découvert que loin d’ici, lorsque ses études d’urbaniste l’ont menée à Lyon, une ville où les hauts immeubles cachent un peu trop le ciel à son goût, où chaque quartier a une vocation précise - shopping, affaires, tourisme, bars - quand elle a l’impression de pouvoir vaquer à toutes ces occupations à la fois où qu’elle se rende à Bordeaux. Une fois diplômée, Malvina a retrouvé avec bonheur son Sud-Ouest de cœur à la faveur d’un premier emploi au sein de l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (a’urba), avant d’intégrer l’équipe projet de l’Opération Campus Bordeaux au sein du pôle Patrimoine et Environnement de l’université avec une mission et un périmètre d’actions à la mesure de son intérêt pour les mobilités. « Je voulais me concentrer sur une communauté en particulier, la fédérer autour d’un projet qui concerne tout le monde - on est tous amenés à se déplacer quotidiennement. »
Et le projet est ambitieux. Le plan de mobilité de l’Opération Campus implique seize établissements d’enseignement supérieur situés sur un territoire de 235 hectares traversant les communes de Pessac, Talence et Gradignan. Il consiste en un ensemble d’alternatives à l’« autosolisme » (le fait de voyager seul en voiture) proposées aux étudiants et aux personnels pour leur rendre la vie plus agréable et réduire la pollution générée par les déplacements entre leur domicile et leur campus. Le covoiturage en est un bon exemple, et l’actualité du moment pour Malvina qui accompagne, en ce début 2024, le lancement d’une application dédiée.
« Tous les sites de l’université de Bordeaux et de ses partenaires académiques sont concernés, ainsi que le CHU de Bordeaux, car c’est “l’effet club” qui permet à une application de covoiturage de fonctionner, ce que nous avons obtenu en regroupant les deux plus gros employeurs de Nouvelle-Aquitaine. » Avec cette force de négociation, l’université a pu obtenir des conditions intéressantes auprès de l’opérateur Karos, notamment « la garantie retour », explique Malvina : « Elle permet à un passager dont le conducteur le lâcherait dans la journée, et qui ne trouverait pas d’autre covoiturage pour rentrer à son domicile, d’être assuré d’un retour gratuit en taxi ou en VLC. » De quoi faire tomber le principal frein psychologique à l’utilisation du covoiturage.
Autre intérêt de Karos, l’appli favorise l’intermodalité : un conducteur n’aura peut-être pas exactement la même destination que son passager mais pourra le déposer à un arrêt de tram qui lui permettra de finir son trajet. Avec ce nouveau service, Malvina espère modestement doubler le nombre de covoitureurs, pour qu’il passe de 4% à 8% de la communauté universitaire. Actuellement, 45% des personnels voyagent seuls dans leur voiture pour aller travailler, contre 75% des Français.
Une application pour covoiturer vers le même campus.
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Pour faire davantage bouger les lignes, Malvina, malgré l’optimisme qui visiblement la guide, croit surtout au pouvoir de la contrainte : « Il faudrait des voies réservées au covoiturage sur toutes les routes pénétrantes de l’agglomération, des espaces dédiés et identifiés dans toutes les communes, mais aussi que les places de stationnement les plus proches des bâtiments universitaires soient réservées au covoiturage… L’incitation seule ne suffit pas, malheureusement. » La jeune femme se déplace en vélo, même si elle a parfois « la flemme, sous la pluie, en plein hiver ». Elle constate que la contrainte, notamment le prix du stationnement à Bordeaux, l’a bien aidée à sauter le pas. Écolo convaincue, Malvina reconnaît ses « écarts » - les voyages en avion, auxquels elle ne veut pas renoncer, la consommation de viande, qu’elle achète chez le boucher. « Je gère mes contradictions, comme tout le monde ; j’ai décidé de concentrer mes efforts sur les déplacements du quotidien, car le transport individuel est le premier poste d’émission de gaz à effet de serre, bien plus que le chauffage, l’industrie, la viande… Ma cible, ce sont les gens qui prennent leur voiture pour faire moins de 5 km, ce sont eux que j’ai envie de convaincre. »
Dans une métropole où plus d’un habitant sur dix se déplace à vélo, ce moyen de transport a bénéficié d’une attention toute particulière dans le plan de mobilité de l’université. Le premier chantier a consisté à identifier les discontinuités cyclables sur le domaine universitaire pour tâcher, au fil du temps, de les résoudre. Puis il a fallu informer et inciter les communautés à cette pratique, au gré d’animations diverses, en prêtant des vélos au besoin. Si un quart des personnels de l’université se déclarent « vélo-tafeurs », la communauté étudiante culmine, quant à elle, à 7% d’adeptes.
Cela surprend un peu Malvina, qui s’est fixé comme «grand défi» de les convertir, elle qui les entend souvent se plaindre des tramways bondés : « C’est vrai que l’achat d’un vélo et de l’équipement de base, c’est un petit investissement au départ, mais ça vaut vraiment le coup quand on sait qu’on peut relier la place de la Victoire au campus Montesquieu en moins de 25 minutes grâce à une piste cyclable qui traverse tout le domaine universitaire. » Dans les prochaines années sortiront de terre six espaces de stationnement sécurisés de grande ampleur - jusqu’à 200 places - qui devraient également contribuer à changer la donne.
Les autres mots-clés au centre du projet de mobilité - piétonnisation, apaisement, coulée verte - laissent présager, à l’horizon 2028, « un cœur de campus super agréable », se réjouit Malvina. Mais c’est un projet complexe, avec des enjeux financiers considérables et de nombreux partenaires autour de la table, chacun ayant compétence sur une partie de la voirie. « Cela demande beaucoup de diplomatie », sourit la jeune femme, à laquelle on soutire une anecdote éclairante sur son apprentissage « à la dure » de cette qualité, indispensable dans son métier. « Je suis russophone. Avant de travailler dans l’urbanisme, j’ai passé un an dans le Caucase où j’ai enseigné le français. Lors d’un voyage aux confins de l’Ingouchie, six soldats m’ont arrêtée : je me suis retrouvée seule avec eux dans une pièce, interrogée pendant des heures, sans que je comprenne trop où ils voulaient en venir, de quoi ils me soupçonnaient. Je crois que ce jour-là, j’ai beaucoup appris sur le poids des mots, les rapports de force et la maîtrise de soi ! »
Ma cible, ce sont les gens qui prennent leur voiture pour faire moins de 5 km, ce sont eux que j’ai envie de convaincre.