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Assurance chômage, une réforme de bon droit ?

Mise à jour le :

La communauté juridique universitaire entame des réflexions autour de l’émergence d’un droit administratif du chômage, dans une période où les réformes se succèdent. Échange et analyse avec Mathieu Carniama et Hugo Avvenire, deux enseignants-chercheurs en droit public.

Photo : Façade d'un bâtiment avec l'identité visuelle de France Travail, nouveau nom de Pôle Emploi depuis le 1er janvier 2024. © OceanProd / Adobe Stock
Façade d'un bâtiment avec l'identité visuelle de France Travail, nouveau nom de Pôle Emploi depuis le 1er janvier 2024. © OceanProd / Adobe Stock

Cinquième. C’était la cinquième réforme de l’assurance chômage prévue en sept ans. La dernière aurait dû être appliquée le 1er décembre 2024 suite à un décret, dont la publication a été suspendue à l’annonce des résultats du premier tour des législatives anticipées. Celui-ci prévoyait un nouveau durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation ainsi qu’une réduction de sa durée. Une régression des droits avec pour objectif annoncé de « favoriser le retour à l’emploi ». En mai dernier, une journée d’étude intitulée « Le droit administratif du chômage – les mutations du service public de l’emploi » s’est tenue à l’université de Bordeaux. Portée par l’Institut Léon Duguit (ILD – université de Bordeaux) et le Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (COMPTRASEC – CNRS, université de Bordeaux), elle a permis à des spécialistes du droit public d’échanger sur le traitement juridique du chômage et ses possibles adaptations après de multiples réformes de son régime d’assurance.

Hugo Avvenire, enseignant-chercheur en droit public rattaché à l’ILD et co-organisateur de l’événement, se souvient de la genèse du projet. « Le cheminement a débuté lors du colloque "L’État face à l’inflation", lui aussi organisé par l’ILD. Il montrait la richesse d’une réflexion juridique à partir d’une notion de politique économique. » Une approche reconduite à l’occasion de cette journée d’étude autour du service public de l’emploi. « Nous nous sommes rendu compte que le chômage était surtout traité par les spécialistes du droit du travail, qui relève du droit privé. Pour des raisons essentiellement disciplinaires, le droit public - notamment le droit administratif - ne s’y était jamais intéressé. Ce qui peut paraître étonnant au vu de l’emprise croissante de la puissance publique sur le service public de l’emploi afin de réaliser l’objectif du plein emploi » précise Mathieu Carniama, lui aussi enseignant-chercheur en droit public rattaché à l’ILD et second organisateur.

Un régime autogéré graduellement repris en main par l’État

Depuis sa création en 1958, l’organisation du régime de l’assurance chômage a subi de nombreuses réformes. L’assurance se fonde alors sur la Convention nationale interprofessionnelle, signée entre le patronat et les syndicats de travailleurs. Un système d’indemnisation pour les salariés de l’industrie et du commerce apparaît. Celui-ci consiste en des caisses de cotisation cogérées paritairement, c’est-à-dire que les employés et les employeurs ont un nombre égal de représentants aux conseils d’administration des Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Assédic) à qui est confiée la gestion opérationnelle des fonds. Le montant et la durée des indemnisations sont alors définis par accord entre les deux parties et le pilotage de la structure à l’échelle nationale est assuré par l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic). Le cadre légal construit dès lors relève du droit privé, car le régime d’assurance chômage se structure et opère uniquement via des personnes physiques ou morales, soit des acteurs privés au regard de la loi.
Ce n’est qu’en 1967 qu’une administration publique est instituée avec la création de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE). Celle-ci avait pour missions de faciliter le retour à l’emploi en centralisant les offres et les demandes, en accompagnant les personnes dans leurs démarches et leurs parcours ou encore en calculant des statistiques sur le nombre de demandeurs d’emploi. Cette publicisation du service public de l’emploi se poursuivra au fil des années, jusqu’à la fusion des Assédic et de l’ANPE qui donnera naissance à Pôle Emploi en 2008, depuis renommé France Travail en 2024.

Une étatisation progressive que l’instrumentation juridique n’a pas encore suivie, notamment via une prise en charge du droit public dont la fonction est de réguler les relations impliquant des organismes publics. « Un des enjeux majeurs de cette journée consistait à créer un premier espace d’échange entre les disciplines afin de croiser les approches et les outils spécifiques à chaque spécialité. Pour cela, nous avons travaillé le matin autour du service public de l’emploi, sur la manière dont l'État met en place et finance une institution qui sert l’intérêt général en favorisant l’accès à l’emploi. L’après-midi était quant à elle centrée sur l’usager demandeur d’emploi, sur ses droits et sur la façon dont ces mêmes institutions aident ou restreignent leur accès. Les dernières réformes renforcent l’épaisseur de cet angle d’analyse car la place de l’usager de ce service public évolue et se retrouve de plus en plus contrainte » détaille Mathieu Carniama.

Désormais, l’État occupe une place centrale dans le fonctionnement du régime d’assurance chômage. Le remplacement en 2017 d’une partie des cotisations salariales par de la cotisation sociale généralisée (CSG) installe de fait une dépendance financière de l’assurance chômage envers l’exécutif avec une partie de ses revenus qui provient désormais de l’impôt. De plus, les règles de calcul des montants d’indemnisation, traditionnellement fixées par un accord entre syndicats et patronat sur une base de négociation définie par un décret de cadrage, sont dorénavant décidées unilatéralement par décrets dits de « carence » ou de « jointure ».

La réforme du 1er janvier 2024 s’inscrit dans ce continuum de transformation du régime de l’assurance chômage. « Elle ne consiste pas seulement en un changement de nom. C’est toute l’articulation du réseau France Travail, anciennement nommé Pôle Emploi, qui est modifiée. La co-administration par l'État et ses collectivités territoriales en sort renforcée » explique Mathieu Carnamia. Une analyse que partage Hugo Avvenire. « La prise en charge par France Travail du suivi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) avec l’apparition d’une obligation de travail témoigne de ce changement de logique. La logique assurantielle, où la personne salariée cotise pour bénéficier en contrepartie d’une prise en charge collective du risque associé à la perte d’emploi, est substituée par une logique fiscale où l’indemnisation devient une prestation sociale. »

Des chômeurs précarisés au nom du plein emploi

Dans cette nouvelle organisation du service public de l’emploi, quelle place pour les acteurs privés ? « Aujourd’hui, ils interviennent surtout dans la définition et dans l’application des normes d’accompagnement de retour à l’emploi, à l’instar de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Ce rôle en bout de chaîne, sans aucune main mise sur la finalité ou le parcours de l’usager demandeur d’emploi, est une autre incarnation de cette hybridation entre le droit privé et le droit public » explique Hugo Avvenire.

Une réflexion au sein du champ juridique universitaire qui émerge alors que des organismes publics tels que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou encore la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) interrogent très fortement l’efficacité économique des précédentes réformes et démontrent ses impacts sociaux néfastes avec entre autres une précarisation des jeunes et des personnes en difficulté. L’OFCE conclut même dans une étude d’impact dédiée que « la réforme des règles a créé plus de problèmes qu’elle n’en a résolu si bien qu’une sérieuse remise à plat apparaît plus urgente que jamais. »

Alors que l’Unédic prévoyait en février 2024 de dégager 20,6 milliards d’euros d’excédent sur la période 2024-2027, et ce malgré 12 milliards de prélèvements des pouvoirs publics, l’amincissement de la protection apportée par l’assurance chômage bénéficie pourtant d’une certaine acceptabilité sociale. Souvent présentées comme inévitables afin d’être en mesure de satisfaire des impératifs d’austérité budgétaire, les réformes sont presque systématiquement accompagnées de déclarations sur le coût supposément exorbitant de ce qui est alors présenté comme faisant partie du modèle de protection sociale français. Des propos en rupture nette avec les analyses économiques actuelles et la nature du système fondé en 1958. « Lors des propos introductifs à notre journée d’étude, nous avons pu nous intéresser au préambule de la constitution de 1946, un des quatre éléments du bloc de constitutionnalité de la Ve République. L’alinéa 5 dispose que Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Cet alinéa constitue un argument phare pour celles et ceux qui sont favorables à la restriction des droits des demandeurs d’emploi suspectés d’être oisifs. Une lecture alternative et contextualisée a été proposée par un intervenant et démontre que l’alinéa 5 pourrait également être entendu comme protecteur des demandeurs d’emploi et imposer des obligations supplémentaires aux personnes oisives car vivant d’une rente. » rappelle Hugo Avvenire.

Ce colloque aura donc permis de soulever de nouvelles problématiques au sein même du droit public. « Les retours des participants sont enthousiastes. Ces moments sont précieux car, au-delà de leurs traitements, les sujets liés à des politiques publiques permettent aux différentes branches du droit de se réunir et d’interroger la pertinence même de cette dichotomie entre le droit privé et le droit public » soutient quant à lui Mathieu Carniama. Une nouvelle édition pourrait se préciser afin de poursuivre les réflexions sur le droit administratif du chômage et du service public de l’emploi, dans un contexte politique encore incertain mais qui se précise avec l'annonce de la nomination du nouveau Premier ministre.

Quelle différence entre le chômage et l’assurance chômage ?

Le chômage correspond à la situation où une personne est privée involontairement d’emploi et en recherche un. Quant à l’assurance chômage, il s’agit du dispositif d’indemnisation des personnes au chômage et est destiné à protéger leurs revenus face au risque de perte involontaire d’emploi et ainsi leur garantir l’accès à une vie digne.

Contacts

  • Hugo Avvenire

    Enseignant-chercheur contractuel en droit public à l'université de Bordeaux rattaché à l'Institut Léon Duguit (ILD)

    hugo.avvenire%40u-bordeaux.fr

  • Mathieu Carniama

    Enseignant-chercheur contractuel en droit public à l'université de Bordeaux rattaché à l'Institut Léon Duguit (ILD)

    mathieu.carniama%40u-bordeaux.fr

  • Théophile Massat

    Stagiaire éditorial scientifique
    Direction de la communication

    communication%40u-bordeaux.fr