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[10 ans] Entre sciences et société, des ponts de plus en plus solides

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Au cours des dix dernières années, les initiatives se sont multipliées à l’université de Bordeaux pour créer un dialogue fécond entre sciences et société, en inventant de nouveaux formats de partage des savoirs, en créant des échanges entre chercheurs et grand public, ou en impliquant directement les publics dans les projets de recherche. Les acteurs et actrices de ces projets témoignent de la diversité et de la pertinence des chemins explorés.

Photo : Les finalistes de l'édition 2024 du concours Ma thèse en 180s @ Gautier Dufau
Les finalistes de l'édition 2024 du concours Ma thèse en 180s @ Gautier Dufau

Comment faire en sorte que l’université ne soit pas un lieu clos de recherche et d’apprentissage des savoirs, ne s’adressant qu’à celles et ceux qui y étudient et enseignent ? Comment permettre à un public aussi large que possible d’accéder à une partie de ces savoirs, en vulgarisant ces derniers sans les simplifier à outrance ? Comment prendre, en somme, sa place dans la cité à une époque où la masse d’informations qui circule n’a jamais été aussi importante, rendant d’autant plus essentielle la faculté d’exercer un esprit critique, de comprendre, d’analyser ?

Ces questions, aujourd'hui entre les mains d'une équipe dédiée en charge du label « Science avec et pour la société » (SAPS, voir encadré), la communauté universitaire s’en est emparée dès sa création en 2014.

En poste depuis 24 ans, Anne Lassègues, responsable du service culture du campus Sciences et Technologies, a vu l’évolution de ces relations entre sciences et société, y contribuant elle-même : « Il y avait déjà, alors, des actions de diffusion de la culture scientifique, bien sûr. Avec des cafés sciences, des conférences, des séminaires… La programmation n’était pas uniquement ciblée pour la communauté universitaire, il y avait déjà une ouverture au grand public et aux scolaires. Est venue ensuite l’idée de dresser des parallèles entre les démarches scientifique et artistique, dans le courant des années 2000. De mettre en exergue le fait que ces univers très différents ont pourtant en commun un protocole expérimental, une recherche, un processus de réflexion pour expliquer et questionner le monde. »

SAPS

Le label « Science avec et pour la société » (SAPS), délivré par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, valorise les projets et initiatives qui intègrent activement le public dans le processus scientifique. L’université de Bordeaux s’est engagée à renforcer le dialogue scientifique avec les publics éloignés et soutenir les transitions environnementales et sociétales, notamment grâce au projet SUNSET.

Des rencontres entre arts, sciences et société

En 2015 est lancée la première édition du Festival arts et sciences de l’université (FACTS). Cette manifestation biennale - dont la quatrième édition, qui s’est tenue en 2023, était largement articulée autour des enjeux de société - accueille des artistes en résidence au sein des structures de recherche. En favorisant les rencontres et les échanges, le festival mise donc sur l’expérimentation et les réflexions entre artistes et équipes de recherche « Les premiers vont permettre aux secondes de sortir des sentiers battus, ils vont les orienter vers des chemins auxquels elles n’auraient pas forcément pensé. Cette créativité hors du “cadre classique” peut, dans certains cas, redonner un sens nouveau à leur travail, les lancer vers des travaux de recherche inédits. De leur côté, les artistes vont s’engouffrer vers d’autres univers », analyse Anne Lassègues. A partir d’une approche conjuguant « arts et sciences » pour s’ouvrir à de nouveaux publics, la proposition de FACTS évolue au fil des ans vers une démarche plus participative où les arts et les sciences se lient directement aux enjeux et aux acteurs de la société contemporaine.

Agnès Villechaise, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Bordeaux, expérimente également de nouvelles formes de relation entre sciences et société pouvant s’appuyer sur une démarche artistique. « J’ai proposé un atelier qui s’appelle C’est pas très académique, qui a pour vocation d’aider les chercheurs à expérimenter des voies de communication scientifique créatives, en intégrant des supports artistiques. Vidéo, théâtre, bande dessinée, l’idée est d’avoir la portée la plus large possible pour que des publics très divers puissent en bénéficier. La restitution, par ces biais, des travaux de recherche permet de montrer au public comment on travaille, ce que sont les sciences sociales, quelle légitimité nous avons pour en parler. C’est aussi une manière d’aller à l’encontre de certaines idées reçues : chercher à comprendre et expliquer des mécanismes sociaux ne revient pas à excuser certains comportements. Tout cela, ce sont des leviers d’émancipation, et l’art permet de les faire passer d’autant mieux. ».

De nouveaux codes et de nouveaux formats

Dans le domaine de l’astrophysique, comme dans beaucoup d’autres domaines scientifiques, bien se représenter les notions et les quantités en jeu n’est pas toujours évident. Ainsi, c’est une chose de savoir que l’univers est né il y a 13,8 milliards d’années, c’en est une autre de comprendre ce que cela signifie. « Le temps est très difficile à appréhender. Alors nous avons eu l’idée de matérialiser ce temps par son équivalence en distance », explique Pierre Gratier, astronome au laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. Deux sentiers, baptisés Chemin du temps, sont ainsi imaginés : l’un, de 13,8 km reliant Gradignan, Pessac et Talence, est en cours d’élaboration et l’autre, de 1,38 km dans le Bois de Thouars à Talence, destiné aux enfants, a été inauguré en mars 2024. Ces parcours apportent des informations scientifiques : « on permet aux promeneurs de réaliser ce qu’est le temps, d’appréhender les bonnes échelles sous une forme très tangible » dans un espace où chacun, volontairement ou non, peut être interpelé par ces panneaux de médiation.

Une balade instructive à faire en famille © université de Bordeaux
Une balade instructive à faire en famille © université de Bordeaux

Événement inspiré par les codes du stand-up, depuis 2014 « Ma thèse en 180 secondes s’adresse aux lycéens, mais pas exclusivement. On demande aux doctorants de faire une présentation accessible à des adolescents de 16 ans. Cela fonctionne avec beaucoup de classes qui reviennent d’une année sur l’autre. Voir une astrophysicienne qui n’a que 10 ans de plus qu’eux démystifier l’image du scientifique en blouse blanche, reprenant même parfois certains codes du stand-up, les touche », assure Delphine Charles, chargée de communication scientifique qui a piloté pendant de nombreuses années les évènements de valorisation de la recherche, comme la Nuit européenne des chercheurs, ou encore La Fête de la science.

Vulgariser, oui, mais sans rien sacrifier de l’exigence scientifique indispensable : l’accompagnement proposé aux doctorants fait partie intégrante de la formation proposée encore aujourd’hui par l’équipe SAPS avec le soutien du Collège des écoles doctorales.

Des dialogues pour attiser la curiosité et susciter le débat

À la croisée des chemins de la recherche et de l’enseignement, les doctorantes et doctorants sont aussi impliqués au jour le jour. Maureen Bal, doctorante en science politique à l’Institut de recherche Montesquieu de l’université de Bordeaux, est spécialiste de l’écoféminisme et de ses impensés. « Un mouvement qui tend à dépasser les seules questions écologiques et féministes, mais qui est aussi profondément populaire, qui vient du bas, de revendications de personnes qui sont parfois éloignées de l’université. Pour cette simple raison, il est essentiel de faire le lien entre société et université avec des actions de médiation scientifique et culturelle auprès de publics et dans des lieux très variés. »
 

Conférence de Maureen Bal à l'université de Pau et des Pays de l'Adour dans le cadre de la Nuit des Sorcières
Conférence de Maureen Bal à l'université de Pau et des Pays de l'Adour dans le cadre de la Nuit des Sorcières

Comme de nombreux doctorants, Maureen s’inscrit régulièrement dans des actions à destination des publics : tables rondes, conférences et ateliers dans des écoles, des lycées, des associations, des festivals ou à Cap Sciences. Le travail de sensibilisation de la jeune chercheuse rencontre partout un vif intérêt : « En général, celles et ceux qui se déplacent pour échanger sont plutôt réceptifs à la question, il y a peu d’hostilité, sauf sur certains points, comme la question de l’écoféminisme des sorcières, par exemple. » Dans le cadre scolaire, il arrive plus souvent que des élèves ne se sentent pas concernés, que les sujets évoqués leur paraissent lointains. « Mon travail consiste alors à me mettre à leur place, à leur niveau, de comprendre leurs références. D’évoquer un contenu populaire sur TikTok par exemple, ou une série qu’ils connaissent tous. Une fois ce travail effectué, j’arrive souvent à les intéresser, et j’essaie de leur faire comprendre que je ne veux pas les amener à penser comme les autrices, mais plutôt à découvrir les textes. Je ne veux surtout pas apparaître comme une personne sachante, que l’on vient écouter sagement. Je souhaite entretenir un dialogue constant. En vulgarisant, mais sans transiger sur l’exigence. »

Des rencontres pour décrypter l’actu

Démocratiser le savoir universitaire, encourager l’échange, c’est aussi l’objectif des Rencards du savoir, apparus dès 2016. Des cafés et des ciné-débats, en lien avec un sujet d’actualité, au cours desquels des experts présentent leur travail de recherche. « Toutes les problématiques sont abordées, en lien avec l’actualité, et nous pouvons par ce biais apporter un éclairage sur des questions majeures comme les impacts du changement climatique dans les villes, des questions de santé publique liées aux récentes pandémies, ou de transitions telle que la place des femmes dans la société », poursuit Anne Lassègues.

Certaines questions scientifiques ou typiquement universitaires entrent en résonance avec des enjeux de société, parfois sensibles. C'est le cas, par exemple, de la conciliation entre éthique environnementale et liberté académique, du recours au animaux dans la recherche scientifique, ou encore de la place des neurosciences dans l'éducation. Partant de ce constat, l'université organise depuis 2022 des « Controverses » pour tenter d'éclairer ces questions au travers d'échanges directs entre des spécialistes de différents horizons et le public.

Antoine de Daruvar, professeur en bio-informatique, et Charles Mercier, professeur en histoire, sont à l'origine des Controverses de l’université de Bordeaux, qui « démontrent que la déontologie académique et l’approche scientifique permettent non seulement de discuter de manière argumentée et non polémique de sujets complexes, et potentiellement clivants, mais aussi de produire des connaissances pour éclairer certains enjeux de notre époque marquée par les transitions environnementales et sociétales. » Elles s'adressent à la fois aux communautés académiques, qui y trouvent matière à réflexion critique, et aux citoyennes et citoyens intéressés par ces sujets.

Les femmes, leur corps et la santé © Musée d'Aquitaine
Les femmes, leur corps et la santé © Musée d'Aquitaine

Accéder aux podcasts des Controverses

Sciences participatives, les ponts de demain ?

Si tous les projets jetant un pont entre sciences et société placent le grand public au cœur de leurs préoccupations, certains vont encore un peu plus loin. Il en est ainsi des sciences et recherches participatives, une forme de production de connaissances auxquelles participent - seules ou en groupe- des citoyennes et citoyens engagés.

Cette démarche participative est au cœur du projet SSACIéTé, qui se greffe à l’expérimentation de sécurité sociale de l’alimentation menée depuis mars 2024 en Gironde auprès de 400 personnes. Avec elles, mais aussi avec les acteurs politiques locaux et les responsables associatifs, des chercheurs de l’université de Bordeaux tentent de « prendre la mesure de ce qui se joue en matière d’alimentation et de citoyenneté, des enjeux de production aux enjeux de consommation », résume Sylvain Bordiec, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre du laboratoire Cultures et diffusion des savoirs. « Nous sommes animés par l’idée de co-construction de la recherche, tout en soulignant que nous ne voulons pas d’une participation citoyenne qui se résume à de l’affichage. Nous demandons aux personnes qui expérimentent de remplir des carnets, de répondre à des questionnaires… Il y a un enjeu important de questionnement de nos routines scientifiques, c’est potentiellement déroutant de faire participer des citoyens à nos recherches alors même que notre travail consiste à objectiver ce que font et pensent les citoyens. C’est donc une démarche en cours de construction, qui évolue, ce qui la rend d’autant plus passionnante », conclut Sylvain Bordiec.

Sciences participatives, rencontres artistes-chercheurs, journées thématiques dans les établissements scolaire… à travers des formats et des initiatives toujours renouvelées, c’est une communauté de plus en plus large qui s’intéresse et se mobilise autour d’actions « avec et pour la société » à l’université de Bordeaux. Participer à l’incubation et à l’idéation de nouveaux projets à la croisée entre sciences et société constitue aujourd’hui un des piliers d’engagement de l’établissement, que ce soit à l’initiative de ses personnels dans les structures de recherche et de formation, ou des services dédiés qui créent ou accompagnent ces projets.

Contact

  • Équipe science avec et pour la société (SAPS)

    saps%40u-bordeaux.fr